Par Helen Roxburgh et Danni Zhu
Dans l'omniprésent secteur du massage chinois, il n'est pas rare de faire appel à des malvoyantes, pour leur sens du toucher qui serait exceptionnel. C'est également l'un des rares secteurs à embaucher des personnes handicapées, dans un pays qui peine à les intégrer.
« Masser une certaine partie »
Lorsque Xiao Jia a perdu la vue à l'adolescence, devenir massothérapeute s'est vite imposé comme le meilleur choix de carrière possible. Mais la jeune femme, aujourd'hui âgée de 28 ans, a vite déchanté, face aux attouchements de clients masculins et à leurs demandes de faveurs sexuelles. "Mon pire moment, c'est lorsqu'un client m'a emmenée dans une pièce à part, a fermé les deux portes et m'a demandé de lui masser une certaine partie", raconte à l'AFP Mme Xiao. "Il m'a dit que si je n'acceptais pas, il allait démolir la boutique. Il était ivre et disait avoir pris de la drogue. J'ai eu très peur", confie-t-elle.
40 % des Chinoises victimes de harcèlement
A en croire des associations de défense des droits de l'Homme, 40% des Chinoises ont déjà été victimes de harcèlement sexuel. Mais le poids du système patriarcal et un certain sentiment de honte dissuadent souvent les victimes de porter plainte. Dans le secteur du massage, le pourcentage est probablement bien plus élevé, estime l'avocate Li Ying, qui juge les femmes aveugles "plus vulnérables" que le reste de la population. Maître Li a été la première avocate à avoir intenté un procès pour harcèlement -et à l'avoir gagné- en vertu d'une loi datant de 2018. Auparavant, il n'existait aucune définition légale du harcèlement sexuel et aucune réglementation sur la manière de traiter ces dossiers dans le cadre professionnel.
Attouchements et pas de sous-vêtements
Ming Yue, 24 ans, qui témoigne à l'AFP sous pseudonyme, affirme avoir été agressée par des clients et subi des attouchements dans chacun de la dizaine de salons de massages dans lesquels elle a travaillé. Et c'est à 18 ans que la jeune femme a vécu sa première expérience du genre lorsqu'un client a essayé de toucher ses seins et ses jambes. "Je ne savais pas quoi faire. Je n'avais jamais vécu ça auparavant et personne ne m'avait appris à gérer la situation", raconte Mme Ming, aveugle depuis l'âge de six ans. Miaomiao, qui témoigne également sous pseudonyme, raconte être tombée adolescente sur des clients qui délibérément ne portaient pas de sous-vêtements pour la "piéger" et l'obliger ainsi à toucher leurs parties génitales. Aucune des femmes interrogées par l'AFP n'a porté plainte. Par peur. "Je n'ai rien dit à personne. Parler n'aurait rien réglé mais aurait au contraire aggravé les choses", assure Miaomiao.
Manque d'intégration
Pour changer les mentalités, Me Li plaide pour une meilleure protection juridique et davantage d'intégration des personnes handicapées. Les autorités doivent s'engager à traiter les non-voyants sur un pied d'égalité et leur fournir "plus de ressources plutôt que de les isoler", estime-t-elle. Un rapport de l'ONU de 2018 affirme qu'en Chine près de la moitié des personnes handicapées fréquentent une école spécialisée plutôt que le système scolaire général, un chiffre bien supérieur à la moyenne des pays étudiés. Résultat, "la plupart des gens n'ont jamais eu d'interaction avec une personne souffrant d'un quelconque handicap", souligne Parissara Liewkeat, de l'Organisation internationale du travail (OIT).
Ni une faute ni une tare
La situation se répercute dans le milieu professionnel, où les entreprises "ne savent pas comment s'adapter au personnel handicapé", estime Zhou Haibin, dont l'organisation Easy Inclusion Consulting aide à trouver stages et emplois. "Si le regard des gens change, les malvoyants auront plus de débouchés. On pourra peut-être devenir prof de maquillage, de yoga, ou faire d'autres choses auparavant impensables pour des aveugles", veut croire Xiao Jia. "Etre handicapé n'est pas une faute ou une tare", sourit la jeune femme, qui possède aujourd'hui son propre salon de massage et conseille des personnes confrontées aux mêmes problèmes qu'elle.