Certains espéraient un scoop ; n'était-ce pas lors du Comité interministériel du handicap (CIH) de 2017 qu'Edouard Philippe avait annoncé l'augmentation de l'AAH (Allocation adulte handicapé) de 90 euros ? Il n'y en a pas eu. Premier CIH de l'ère Jean Castex et 4e du gouvernement Macron, il s'est tenu le 16 novembre 2020 au matin à Matignon. L'idée de ce CIH jugé « important » n'était donc pas de faire de nouvelles promesses mais de « structurer l'existant » avec un « travail continu » qui, le promet le chef du gouvernement, « va se poursuivre ».
Ce fut surtout un rappel des mesures définies lors du dernier CIH de décembre 2019 et de la Conférence nationale du handicap (CNH) du 11 février 2020. Elles devaient pour la plupart être déployées en 2020 mais, sur les 46 mesures listées (à retrouver en détails dans le lien en fin d'article), seules 16 sont en partie ou totalement réalisées tandis que 30 sont en cours. Le contexte actuel s'avère, il est vrai, nettement défavorable, la faute à la Covid ! Mais pas que ; certaines mesures annoncées depuis plusieurs années ne sont toujours pas effectives...
Quelques nouveautés
Au titre des « nouveautés », quelques exemples. La première est liée à la crise sanitaire actuelle. L'aide de 4 000 euros pour chaque personne handicapée recrutée en CDI ou CDD de plus de trois mois, qui devait s'achever le 28 février 2021, est reconduite jusqu'au 30 juin ; elle doit permettre jusqu'à « 30 000 recrutements ». La seconde concerne la prestation de compensation du handicap (PCH), permettant de financer des aides, humaines ou matérielles, qui sera ainsi étendue dès le 1er janvier 2021 pour couvrir les aides à la parentalité. Autre annonce : la « sanctuarisation » de 10 millions d'euros pour permettre à l'ensemble des discours des ministres d'être sous-titrés et traduits en langue des signes française (LSF). Concernant le logement, Jean Castex a précisé que 45 millions d'euros seraient déployés entre 2021 et 2023 pour financer des « aides à la vie partagée » (AVP) qui permettront de « favoriser l'habitat inclusif » via des petites unités de logement en cœur de ville. Enfin, l'enveloppe consacrée à l'emploi accompagné va passer de 15 à 30 millions en 2021, puis à 45 en 2022, permettant d'accompagner 6 000 personnes.
Un CIH tous les 6 mois ?
Le Premier ministre annonce par ailleurs que le CIH, organisé d'ordinaire une fois par an, se réunira à nouveau dans six mois, voire tous les six mois ; une annonce saluée par les associations. « Cette décision confirme que nous sommes dans une démarche constructive, se félicite Jérémie Boroy, cette méthode de travail permettant à tous les ministres de rester mobilisés. » Un autre point favorable est la nomination, enfin définitive (cette mesure datait de fin 2017), de « tous » les hauts-fonctionnaires dédiés au handicap auprès de chaque ministre. Enfin, pour la première fois, cette réunion était élargie aux représentants des associations de personnes handicapées, via, notamment, la présence du Collectif handicaps qui regroupe une cinquantaine d'entre elles. « C'est une excellente configuration pour avancer au plus vite, se réjouit Céline Poulet, secrétaire générale du CIH. C'est la première fois que l'on parvient à faire un bilan exhaustif qui permet maintenant d'aller plus loin dans l'exécution réelle des mesures. »
Réaction des associations
Pour les grandes associations, le bilan est plus mitigé… Le Collectif handicaps note « positivement de nouvelles annonces » mais dit attendre leur « concrétisation rapide ». Pour autant, il ajoute qu'elles « ne permettront pas d'agir rapidement pour renforcer l'accessibilité des bâtiments ou répondre aux attentes des familles ». Par ailleurs, beaucoup de chantiers sont confirmés mais ne trouvent pas de concrétisation immédiate, par exemple celui sur les aides techniques ou l'ouverture de la prestation de compensation (PCH) à d'autres types de handicaps. De son côté, l'Unapei (association de personnes avec un handicap intellectuel) déplore des « attentes fortes non satisfaites », pointant en particulier les carences de la scolarisation et de l'accompagnement avec de « trop nombreuses personnes sans solution ». Malgré des « objectifs partagés » et un « bilan intéressant », l'Apajh souligne à son tour des « manques sur la stratégie gouvernementale ».
Impact de la crise sanitaire
Tous s'inquiètent de l'impact de la crise sanitaire actuelle qui percute plus fortement ce public dans bien des domaines, notamment celui de l'accès aux soins et, à l'heure où s'ouvre la 24e Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (article en lien ci-dessous), à l'emploi. Luc Gateau, président de l'Unapei, exhorte : « Ne laissons pas les citoyens en situation de handicap être aux avant-postes d'un monde d'après dégradé ». Le premier ministre veut rassurer en s'engageant à ce que « la crise ne nous détourne pas des mesures structurelles engagées ». A son tour, l'APHPP (Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques) regrette un « fossé grandissant » entre les discours politiques et le ressenti sur le terrain. Pour y remédier, son président, Matthieu Annereau, lui-même élu en situation de handicap visuel, ne voit qu'une solution, « impliquer directement les personnes handicapées dans le développement des politiques qui les concernent ».
Des marges de progrès
Ce rendez-vous n'a donc pas comblé toutes les espérances. Pour Jérémie Boroy, « faire face aux attentes et aux déceptions, c'est la mission du Cncph ». Même s'il ajoute « ne pas croire au Père Noël », il se satisfait que le handicap soit au cœur de la mobilisation alors même que la France est traversée par une crise majeure. Selon lui, « il faut entendre ce signal fort qui a été envoyé ». Des marges de progrès sont néanmoins attendues, citant en exemple la nouvelle orientation sur l'enseignement supérieur qui « ne va pas assez loin » pour les étudiants handicapés, notamment en matière d'accessibilité. Quant à l'individualisation des revenus du conjoint pour ceux qui touchent l'AAH, vieux serpent de mer des associations, il n'était pas à l'ordre du jour. Mais, selon Jérémie Boroy, cette revendication forte sera au cœur des assisses de l'autonomie lancées au sein de son Conseil « dès maintenant » et qui promet des réponses d'ici… deux ans.