La sixième Conférence nationale du handicap (CNH) du 26 avril 2023 s'est déroulée dans un contexte particulier puisque, la veille, la majorité des 52 associations réunies au sein du Collectif handicaps ont décidé de décliner l'invitation présidentielle, dénonçant un « manque de concertation » (Lire : La Conférence nationale du handicap boycottée par des asso). Cette grand-messe trisannuelle s'est donc tenue « dans un contexte de dissension plus que de concorde », déplore ainsi l'Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). Les chaises du palais présidentiel sont restées néanmoins bien garnies. Si les journalistes présents, « invités » à quitter rapidement les lieux, n'ont pas été autorisés à débriefer à chaud avec les participants, ils se sont consolés avec les nombreux communiqués de presse qui ont déferlé…
Des annonces très fortes ?
A froid, quel est alors le pouls de la sphère handicap après ce rendez-vous national, pour certains « manqué » ? L'Elysée avait promis « 70 annonces très fortes pour fixer le cadre de la politique du handicap dans les trois ans à venir », qui ont « vocation à être déployées immédiatement » (Lire : CNH 2023 à l'Elysée : les annonces handicap de E. Macron ). Toutes ne sont pas de la dernière fraîcheur puisque « certaines avaient été engagées lors du premier quinquennat », fait remarquer APF France handicap.
Quelques propositions phares
Selon leur état d'esprit, des associations « prennent acte », d'autres « saluent » certaines « se félicitent » de quelques propositions phares comme le remboursement intégral des fauteuils roulants ou l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros débloquée sur cinq ans pour favoriser l'accessibilité, notamment des ERP et des gares, (mais pas avant 2027) (Lire : Macron : l'Etat va consacrer 1,5 milliard à l'accessibilité ), la perspective de sanctions avec la fin des Ad'Ap (Agendas d'accessibilité programmés) en 2024. C'est aussi le développement de l'accès à la communication alternative et améliorée (CAA), la création de 50 000 « solutions » médico-sociales nouvelles d'ici 2030, l'évolution du statut professionnel des travailleurs d'Esat ou encore le renforcement des diagnostics précoces pour les enfants et la CDIsation des accompagnants scolaires. APF France handicap admet que « des mesures vont dans le bon sens, à concrétiser », tout comme la Fnath (fédération des accidentés de la vie), qui dit néanmoins rester « attentive à leur mise en œuvre ».
Des mesures intéressantes…
De nombreux bémols, aussi, consentis par le chef de l'Etat lui-même. « La pire des choses serait de dire : 'Ça va vachement mieux', le pire serait de s'habituer », a déclaré Emmanuel Macron, qui admet que « nous ne sommes pas à la hauteur de l'idéal d'égalité que nous avons gravé au fondement de la République ». Certains ministres présents ont également fait amende honorable, semblant prendre la mesure du retard français en matière de handicap. Pour APF France handicap, on « s'éloigne du satisfecit généralisé de (la CNH de) 2020 ». C'est « la première fois que le président de la République fait explicitement référence à la convention relative aux droits des personnes handicapées de l'ONU et aux observations finales du comité des droits, à la suite de l'audition de la France en août 2021, et qu'il confirme que la désinstitutionalisation s'impose à nous », remarque Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). « La création de 'solutions' nouvelles et non plus de 'places' comme la transformation annoncée des établissements médico-sociaux en plateformes de services coordonnés en appui à l'accès au droit commun confirme aussi le changement d'orientation qui était attendu », poursuit-il. Plus sévère, pour le Groupe polyhandicap France, ces engagements « passent à côté des enjeux essentiels et structurants du handicap », qui impliquent, notamment pour le polyhandicap, une « véritable transformation de l'offre médico-sociale ».
… mais pas de refondation ?
Si Emmanuel Macron a « posé un diagnostic plus réaliste sur la situation », il n'engage donc pas le « changement de paradigme » que les associations (citons APF France handicap ou LADAPT) appelaient de leurs vœux ? « Des bonnes intentions » mais qui, selon elles, « ne constituent pas une véritable refondation de la politique française du handicap à la hauteur des 'enjeux sociétaux' », cap pourtant fixé par Emmanuel Macron dans son discours. Même déception de la part du Collectif handicaps qui, malgré son boycott officiel, a suivi les débats à distance, se fendant d'un communiqué ; il dit avoir repéré des « mesures intéressantes » mais reste « déçu par le flou du discours d'Emmanuel Macron », ressemblant davantage à un « catalogue de mesures catégorielles qu'à la présentation d'une vision globale ». Selon lui, il « ne répond que de manière très parcellaire à la récente décision du Conseil de l'Europe, très loin de l'approche par les droits réclamée par les associations ». Il regrette surtout que, dans un « contexte de forte inflation, la revalorisation de l'AAH a minima au niveau du seuil de pauvreté », ne soit pas à l'ordre du jour.
Durcissement de ton du côté de l'Unafam (union de personnes avec un handicap psychique) qui dénonce « l'invisibilisation totale du handicap psychique », notamment dans le domaine de l'accessibilité, ainsi que « le déni politique » dont ce handicap est l'objet.
Des budgets fléchés
Face aux ambitions affichées par le gouvernement, une inquiétude, le nerf de la guerre : quels financements ? L'Uniopss observe une « absence de précisions quant aux moyens engagés par l'Etat ». Pour Jérémie Boroy, il faut « sans tarder décliner cette impulsion en feuille de route interministérielle et territoriale avec une programmation pluriannuelle reprenant chacune des mesures annoncées », en y incluant celles des CIH (Comités interministériels du handicap) précédents qui, le rappelle-t-il, « sont encore en attente ou en cours de mise en œuvre pour préciser leur financement, leur portage et leur calendrier ».
D'une même voix, tous réclament des « engagements budgétaires ambitieux et fléchés » pour que les mesures annoncées ne restent pas que « des déclarations d'intention » et soient « traduites en actes ». L'estimation du besoin de financement de la politique du handicap en France faite il y a deux ans par le cabinet indépendant LISA s'élevait à 13 milliards d'euros… La loi prévoit que le gouvernement remette au Parlement un rapport dans la foulée de la CNH, « l'opportunité d'établir cette programmation d'ici le début de l'été 2023 pour que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale confirment les engagements pris », explique Jérémie Boroy.
Un point d'étape tous les 3 mois
Dans un contexte tendu, le président a par ailleurs promis une « gouvernance renforcée et un comité de suivi réunissant l'Etat, les collectivités territoriales et les associations pour faire un point d'étape des avancées tous les trois mois ». « Il s'agit d'une des conditions de réussite et de crédibilité de la démarche engagée et doit permettre, avec le CNCPH, de passer d'une consultation à une véritable co-construction », conclut Jérémie Boroy. Le Collectif handicaps attend lui aussi « l'organisation d'un dialogue constructif », se disant « prêt à y contribuer activement, à condition qu'il réponde, enfin, aux besoins immenses et trop souvent négligés des personnes en situation de handicap ». Sera-t-il, cette fois-ci, présent ? APF France handicap y voit « une méthode de pilotage plus cadrée » mais entend « maintenir la pression dans le cadre des points trimestriels annoncés ». Tous souhaitent en être… et ainsi enterrer la hache de guerre ?