Par Shingo Ito
Dans un café de Tokyo, Michio Imai salue un client et s'apprête à prendre sa commande. Mais il se trouve en réalité à plusieurs centaines de kilomètres de là, opérant à distance un robot dans le cadre d'une expérience pour faciliter l'emploi des personnes handicapées.
A 800 km de distance
Les robots blancs du café Dawn, avec leur allure de bébés manchots accueillant les consommateurs en battant des ailes, sont destinés à être plus que des gadgets, et offrent un emploi à des personnes pouvant difficilement quitter leur domicile. "Bonjour, comment allez-vous ?", demande M. Imai par l'intermédiaire du robot, depuis chez lui à Hiroshima (ouest du Japon), à 800 km de distance. Il est l'un des quelque 50 employés en situation de handicap moteur ou mental qui "pilotent" les robots du café Dawn. D'autres travaillent depuis l'étranger, mais certains sont physiquement sur place.
Une vingtaine de robots
Ouvert en juin dans le quartier tokyoïte de Nihonbashi, le lieu devait initialement voir le jour en 2020 pour coïncider avec les Jeux paralympiques. Reportés comme les JO à cause de la pandémie de coronavirus, ils auront finalement lieu du 24 août au 5 septembre 2021 (article en lien ci-dessous). Dans ce café sans escaliers et aux larges passages facilitant l'accès aux fauteuils roulants, une vingtaine de robots nommés "OriHime" attendent les clients, équipés de caméras, d'un micro et d'un haut-parleur pour permettre aux opérateurs de communiquer avec eux. "Puis-je prendre votre commande ?", demande l'un des robots, placé près d'une tablette montrant le menu : hamburgers, curry et salade. Trois humanoïdes de plus grande taille se déplacent entre les tables pour apporter les commandes, et un robot-barista vêtu d'un tablier manie une cafetière. Mais ces mignons robots sont avant tout un vecteur de communication. "Je peux parler avec les clients de beaucoup de sujets : le temps, ma région d'origine, ma santé...", explique Michio Imai, qui souffre d'un trouble somatoforme et a de la peine à quitter son domicile. "Aussi longtemps que je serai en vie, je veux rendre quelque chose à la communauté en travaillant. Je suis heureux de pouvoir faire partie de la société", dit-il.
Être inclus dans la société
D'autres opérateurs sont atteints de la maladie de Charcot, se traduisant par une paralysie des muscles, et peuvent utiliser les mouvements de leurs yeux pour envoyer des signaux aux robots. "C'est un endroit où les gens peuvent être inclus dans la société", explique à l'AFP Kentaro Yoshifuji, à l'origine de ce projet et fondateur de la société Ory Laboratory, qui fabrique les robots. Des problèmes de santé dans son enfance l'ont empêché d'aller à l'école, l'amenant à réfléchir à des moyens pour permettre de travailler à des gens ne pouvant pas sortir de chez eux. Cet entrepreneur de 33 ans a reçu le soutien de grandes entreprises mais aussi du financement participatif pour ouvrir le café, qu'il voit comme bien davantage qu'une expérience robotique. "Les clients ne viennent pas ici juste pour rencontrer OriHime", dit-il, mais plutôt "les gens qui le pilotent en coulisses".
Paralympiques "plus inclusifs" ?
L'ouverture de ce café, tout comme celle des Jeux paralympiques, est l'occasion d'attirer l'attention sur les progrès de l'inclusion et de l'accessibilité au Japon. Depuis que la candidature de Tokyo pour les Jeux a été choisie en 2013, le pays a médiatisé ses efforts pour rendre les lieux publics plus accessibles mais le soutien à l'inclusion reste limité, regrette Seiji Watanabe, à la tête d'une ONG soutenant les personnes en situation de handicap qui souhaitent travailler. Le gouvernement nippon a relevé en mars la proportion minimum d'emplois de personnes handicapées de 2,2% à 2,3% dans les entreprises, mais "ce niveau est trop bas", juge M. Watanabe, qui ajoute que "ce n'est pas dans la culture des entreprises japonaises d'avoir par elles-mêmes de la diversité".
Des Jeux robotiques ?
Au café Dawn, Mamoru Fukaya, venu avec son fils de 17 ans, a apprécié sa conversation avec le "pilote" du robot. Il "était très sympa", note-t-il. "Puisqu'il ne peut pas sortir de chez lui, c'est super qu'il ait ce genre d'opportunité." Kentaro Yoshifuji, qui concentre actuellement ses efforts sur ce lieu, pense que les robots pourraient un jour rendre les Jeux paralympiques encore plus inclusifs. "Un nouveau genre de Paralympiques pour les gens alités pourrait être créé", imagine-t-il. "On pourrait même inventer de nouveaux sports. Ce serait intéressant." A noter qu'une compétition de ce type existe déjà ; le Cybathlon, en Suisse, propose des courses d'exosquelettes et autres défis bioniques mais aussi des challenges interface cerveau-ordinateur (article en lien ci-dessous).