France Travail: dans le futur Pôle emploi, quid du handicap?

L'entité France Travail va remplacer Pôle emploi à partir de 2024. Un rapport a été remis au ministre du Travail le 17 avril 2023. Quelle place pour les personnes handicapées, un public cible particulièrement éloigné de l'emploi ?

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Objectif plein emploi ! Pour ce faire, adieu Pôle emploi, bienvenue France Travail. Après sept mois de concertations, une page se tourne. Ou plutôt 274 pages et 99 mesures pour « transformer Pôle emploi », selon le gouvernement, et, in fine, améliorer la formation, l'insertion professionnelle et la recherche d'emploi en coordonnant mieux les différents acteurs. Mission ? « Permettre l'accès de tous à l'autonomie et la dignité par le travail. » C'est le défi du rapport de la mission de préfiguration de France Travail, écrit par Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, remis en mains propres au ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 17 avril 2023.

Un paradoxe surprenant

Défi car le paradoxe est surprenant. D'un côté, des entreprises qui rencontrent « des difficultés importantes pour trouver les salariés avec plus de trois millions d'intentions d'embauche identifiées en 2023 ». De l'autre, « de très nombreuses personnes dépourvues d'emploi, pour certaines depuis de nombreuses années », qui « peinent à retrouver un travail ». « Trop jeunes, trop vieux, trop de situation de handicap, pas le bon nom, pas la bonne adresse... Les entreprises gagneront à mieux s'ouvrir à tous les talents », encourage pourtant ce rapport qui se focalise sur les personnes « durablement éloignées de l'emploi ».

Handicap : pleinement intégré ?

Dans ce contexte, quid des demandeurs d'emploi en situation de handicap ? Ils sont manifestement un public cible, mentionné tout au long du rapport, figurant, de fait, parmi les travailleurs les plus discriminés. C'est d'ailleurs ce que révèle au même moment le Défenseur des droits qui rappelle qu'en 2022 le handicap reste le premier motif de discriminations en France, totalisant 20 % des réclamations reçues, notamment dans le champ de l'emploi (Lire : 2022 : le handicap en tête des discriminations depuis 6 ans).

France Travail assure donc qu'il « a intégré pleinement dans ses réflexions les spécificités des personnes en situation de handicap », en y associant les acteurs dédiés (l'Agefiph, le Fiphfp, les Caf, les CPAM...), tandis que le Conseil national représentatif des personnes handicapées « a pu déléguer des représentants au sein des groupes de travail ». Première chose, Cap emploi sera renommé « France Travail handicap ». Ensuite, le rapport fait quelques premières propositions qui « seront complétées et précisées dans le cadre de la Conférence nationale du handicap (CNH) », prévue le 26 avril à 14h à l'Elysée, si les associations ne mettent par leur menace de boycott à exécution (Lire : CNH du 26 avril 2023 : des associations demandent son report).

Un chapitre dédié...

En page 104, un chapitre propose de « mieux prendre en compte les spécificités des personnes en situation de travail avec handicap et de valoriser les potentiels », en observant « de nombreuses avancées récentes ». Lesquelles ? Réforme de l'obligation d'emploi, obligation d'un référent handicap dans les entreprises de plus de 250 collaborateurs et les centres de formation des apprentis (CFA), rapprochement du réseau des Cap emploi avec les agences Pôle emploi, déploiement des plateformes emploi accompagné sur les situations de handicap invisible (+ 45 % de personnes accompagnées en 2022), plan Cap vers l'entreprise inclusive de 2018 pour le développement des entreprises adaptées, plan de transformation des Esat de 2022 pour favoriser les trajectoires vers le milieu ordinaire et renforcer le droit des travailleurs... Pour autant, les auteurs n'éludent pas « des marges de progrès encore importantes ». Même si le nombre de demandeurs d'emploi en situation de handicap a amorcé une baisse continue depuis fin 2018, ils sont encore 457 370 en janvier 2023 tandis que leur taux de chômage culmine à 14 % contre 8 % pour l'ensemble de la population. « Les obstacles à l'emploi restent considérables, les difficultés pour les employeurs décourageantes, l'inadéquation de nos catégories et modalités d'intervention de plus en plus évidente », pointait également l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) en 2020 dans son rapport thématique Handicap et emploi. Alors, que faire ?

Des axes d'amélioration

France Travail propose des « axes d'amélioration ». Par exemple, le fait que la délivrance par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) d'une Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) avec orientation en milieu ordinaire à une personne sans emploi qui a exprimé le choix de travailler soit systématiquement suivie d'une information à Pôle emploi. Ou encore des conseillers plus « aguerris » aux jeunes issus d'établissement médico-sociaux ou d'Esat. C'est aussi une orientation en milieu protégé qui ne doit être étudiée qu'après une alternative en milieu ordinaire, un meilleur accès à la formation de droit commun pour les personnes avec un handicap invisible (psychique, troubles cognitifs, autisme...), des centres de formation en capacité de répondre aux besoins d'accompagnement. Enfin, les demandeurs d'emploi handicapés regrettent de ne pas identifier les employeurs engagés ou matures sur le handicap alors que des employeurs, notamment ceux qui se sont donnés des objectifs de recrutement, déplorent ne pas distinguer les compétences en cas de handicap. « La rencontre ne se fait pas et l'ambition de sourcing inclusif n'est pas atteinte », observe le rapport.

Quelles propositions ?

Il apporte donc un « premier niveau de réponse » avec trois propositions spécifiques « handicap », portant les numéros 37 à 39 (page 106). En résumé, elles prévoient de :
• Offrir à toutes les personnes en situation de handicap qui le nécessitent de bénéficier d'un accompagnement vers l'emploi. Avant sa généralisation, cette proposition devra faire l'objet d'un pilote mené dans plusieurs départements.
• Garantir que l'offre de formation de France Travail soit accessible à tout demandeur d'emploi handicapé. Un pilote serait lancé dès 2023 sur quelques départements.
• Garantir que le job board de France Travail favorise la rencontre entre recruteurs et demandeurs. Une expérimentation serait lancée dès 2023 sur quelques agences pour tester une évolution du système d'information et mesurer ses effets sur le retour à l'emploi de ce public.

Manque de formation sur la santé mentale

Mais ce n'est pas tout. Plus généralement, d'autres propositions ciblent « ceux qui en ont le plus besoin », dont les seniors, les jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance, les personnes moins qualifiées, dont celles en situation de handicap. Ce rapport précise que « les acteurs du secteur sont confrontés de plus en plus fréquemment à des personnes ayant des troubles psychiques ou du comportement » et qu'ils « ne sont pas formés ou outillés pour faire face à ces situations qui relèvent du champ de la santé mentale mais aussi parfois du handicap ». France Travail souhaite donc « lever les freins liés à la santé (...) encore plus préoccupante concernant les personnes sans emploi ».

RSA : 15 à 20 h d'insertion !

C'est notamment le cas de nombreux allocataires du RSA. France Travail entend les obliger à s'inscrire au chômage et à avoir une activité, entre 15 à 20 heures « d'insertion » par semaine, qui « ne sont pas des heures pouvant s'apparenter à du travail gratuit ». L'Uniopss, qui réunit les associations des solidarités et de la santé, manifeste des inquiétudes sur le contenu de ce contrat d'engagement et pour la mise en œuvre du système de sanctions qui en découle en cas de non-respect. « Il y a aura des exceptions, répond le rapport, notamment pour les personnes ayant des difficultés sociales très profondes ou des problèmes de santé » puisque 21 % de ces allocataires se déclarent en mauvaise santé, 43 % affectés par une maladie chronique et 16 % fortement limités dans leur reprise d'activité du fait de problématiques de santé. 

Un accompagnement humain indispensable

Après analyse des préconisations, l'Uniopss alerte : « Pas de réinsertion durable sans accompagnement ! ». Si elle assure « soutenir depuis l'origine les politiques publiques favorisant le retour à une activité économique des personnes les plus éloignées de l'emploi », elle exprime aussi ses « plus vives inquiétudes si les moyens humains dédiés ne sont pas à la hauteur des besoins d'accompagnement mentionnés dans ce rapport ». Elle réclame des « engagements chiffrés sur le nombre de professionnels ainsi que sur le catalogue de formations ». 

Cette transformation impliquera des « investissements en moyens humains et financiers importants » et nécessitera de « mobiliser de l'ordre de 2,3 à 2,7 milliards d'euros cumulés sur la période 2024-2026 », prévoit le rapport. Les dispositions législatives nécessaires à la mise en œuvre de France Travail feront l'objet de concertations prochaines avec les acteurs concernés, dans la perspective d'un projet de loi d'ici l'été 2023.

© Twitter Thibaut Guilluy

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