Après la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, la recomposition politique s'accélère à grands pas, virant parfois au chaos. Face à la percée spectaculaire de l'extrême droite (40 % cumulés), de nombreuses associations du champ social, du handicap et organisations de la société civile appellent au « sursaut démocratique ». Dans un texte publié le 16 juin dans La Tribune Dimanche, à l'initiative de Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, plus de 400 organisations associatives et de l'ESS alertent sur la menace que représente l'extrême-droite pour l'action associative et citoyenne.
Collectif handicaps : « Alerte rouge »
De son côté, le Collectif handicaps, composé de 54 associations, lance une « alerte rouge ». Sur la forme, il fait valoir que des « élections anticipées dans un délai aussi court et dans un tel contexte politique soulèvent inquiétudes et incertitudes, notamment dans les secteurs social et médico-social ». « Cette instabilité politique, déjà critiquée lors des remaniements successifs, freine et dessert la politique publique du handicap », insiste-t-il (Dissolution Assemblée : le handicap lui aussi au point mort). Sur le fond, il alerte sur le fait que ces « prochaines législatives peuvent entraîner une modification radicale de politique, qui pourrait dès lors reposer sur des discours incompatibles avec le vivre ensemble, le maintien de la cohésion sociale, le respect des personnes dans toute leur singularité ».
Les Droits de l'Homme sortent de leur réserve
De son côté, le bureau de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) décide, pour une fois, de « sortir de sa réserve » pour « lancer un appel solennel à faire barrage aux candidats de l'extrême droite ». Selon lui, « le programme des extrêmes droites, singulièrement celui du RN, s'oppose de façon frontale, directe aux principes d'égalité, de fraternité et de liberté ». La Commission dénonce, notamment, le principe de « préférence nationale », crainte également brandie par le Collectif handicaps. Tous appellent « les citoyens et citoyennes à aller aux urnes les 30 juin et 7 juillet ».
Encore une poignée de candidats handicapés ?
Mais pour qui voter ? Dans cette campagne expéditive, avec une clôture des candidatures le dimanche 16 juin à 18h, quelle place pour les candidats en situation de handicap « visible » ? En 2022, lors des dernières législatives, ils n'étaient qu'une poignée parmi les 6 293 candidats en lice convoitant 577 sièges (Législatives 2022 : où sont les candidats handicapés?). Seuls Sébastien Peytavie (NUPES), premier député en fauteuil roulant depuis l'âge de trois ans, José Beaurain (RN), atteint d'un glaucome congénital, et Damien Abad (LR), vivant avec une arthrogrypose, avaient été élus. Chacun d'eux annonce défendre son siège en juin 2024.
Des contraintes matérielles
Et les nouveaux ? « Ces délais raccourcis compliquent vraiment la donne, explique Matthieu Annereau, candidat aveugle, avec l'obligation d'avoir une équipe opérationnelle en quelques jours, par exemple pour valider les tracts et m'accompagner dans les déplacements de campagne. » « Ce n'est pas donné à tout le monde, les candidats en situation de handicap risquent donc d'être réduits à peau de chagrin », regrette-t-il.
Matthieu Annereau, le retour
Député suppléant de Loire-Atlantique, Matthieu Annereau avait choisi de ne pas se représenter aux législatives de 2022 mais, cette fois-ci, il sera de la partie (3e circonscription de Loire-Atlantique, Renaissance). Egalement président de l'APHPP (Association pour la promotion du handicap dans les politiques publiques et privées), il a une « mission bien précise : porter au niveau national la cause du handicap », afin de « garantir aux personnes concernées l'accès à une vie pleine et entière, sans discrimination ni stigmatisation ». Il entend faire face à « la montée de l'extrême droite, qui prône des discours de haine et de rejet de l'autre » et de l'extrême gauche, qui, selon lui, « n'a que faire des 12 millions de personnes handicapées et 11 millions d'aidants ». « C'est très courageux en cette période mais tellement nécessaire pour faire avancer l'inclusion », lui répondent certains internautes sur LinkedIn.
Damien Abad, malgré son inculpation
Damien Abad, député à l'origine LR promu ministre délégué aux Personnes handicapées avant d'être inculpé de tentative de viol (L'ex-ministre D. Abad mis en examen pour tentative de viol), a donc confirmé le 13 juin 2024 se représenter aux élections législatives dans sa circonscription de l'Ain, où l'extrême droite est arrivée largement en tête lors des élections européennes. « Je pars en candidat divers droite sans étiquette », a indiqué le député apparenté Renaissance, le parti de la majorité présidentielle, ajoutant avoir le soutien de son camp. Une responsable locale du groupe Renaissance a confirmé que le parti ne présenterait pas de candidat face à lui.
Charlotte de Vilmorin, sans étiquette
Charlotte de Vilmorin, entrepreuneure (créatrice, notamment de Wheeliz, un service d'échanges de véhicules adaptés), se présente dans la 10e circonscription de Paris pour porter la voix de toutes les personnes en situation de handicap, âgées, des aidants, de toutes celles et ceux qui ne sont pas représentés dans la vie de nos institutions. Sans étiquette, sans parti politique, avec seulement sa détermination et l'énergie de toutes les personnes qui la soutiennent ! « Cette campagne-éclair n'était pas prévue mais, en quelques jours, nous avons déjà déplacé des montagnes », explique la jeune femme sur X.
Odile Maurin, la corde antivalidiste
Quant à Odile Maurin, militante handicapée et élue métropolitaine à Toulouse depuis quatre ans, elle était candidate à l'investiture du Nouveau Front Populaire (6e circonscription de Haute-Garonne) mais a fini par retirer sa candidature ! Connue pour ses actions de désobéissance civile pour contester les reculs des droits des personnes handicapées, elle a aussi porté en 2021 un rapport alternatif devant l'ONU sur l'application de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, « continuellement bafouée par la France », selon elle. « Il est indispensable que nous, personnes handicapées, soyons plus représentées à l'Assemblée », fait-elle valoir, ajoutant qu'il est « temps d'ajouter une corde antivalidiste à l'arc de l'antifascisme ».
Une campagne accessible ?
Les partis et décideurs politiques doivent également prendre leurs responsabilités dans ce moment grave, et « cela passe évidemment par une accessibilité pleine et entière du processus électoral », complète le Collectif handicaps. A ce titre, les élections européennes n'avaient guère été convaincantes avec une minorité de profession de foi accessibles et des programmes n'abordant le handicap qu'à la marge (Elections européennes : quels partis parlent du handicap?). Alors, dans l'urgence, l'accessibilité ne risque-t-elle pas d'être la cinquième roue du carrosse, plus que jamais ?
© Emmanuelle Dal'Secco