1,6 million. C'est le nombre de Français touchés par une maladie neurodégénérative (MND) ; un chiffre en hausse constante. Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques (SEP), mais aussi des pathologies plus rares comme la maladie de Huntington, de Charcot (SLA), à corps de Lewy ou encore les atrophies multisystémiques… Toutes partagent un point commun : leur impact considérable sur les fonctions cognitives, la mobilité, l'autonomie, la vie sociale. Face à ce défi sanitaire, humain et sociétal, le gouvernement a lancé, début septembre, sa Stratégie nationale pour les maladies neurodégénératives 2025-2030.
Un enjeu collectif porté par 3 ministres
Portée par les ministres Catherine Vautrin (Santé), Yannick Neuder (Accès aux soins) et Charlotte Parmentier-Lecocq (Handicap), cette stratégie, co-construite avec les associations (APF France handicap, France Alzheimer, France SEP, France Parkinson...), professionnels et chercheurs, se veut « globale, concrète et inclusive ». « Les maladies neurodégénératives constituent un enjeu majeur de société, que nous devons collectivement relever pour améliorer la qualité de vie des personnes concernées, mais aussi de leurs aidants », déclare Catherine Vautrin.
Une réponse en six axes et 37 mesures
Cette feuille de route de 48 pages s'articule autour de six axes clés, déclinés en 37 mesures, avec un triple objectif : agir tôt, accompagner mieux, changer les représentations. Une campagne nationale « MND : Tous concernés » sera lancée, d'ici à fin 2026, pour mieux informer le grand public, sensibiliser les professionnels et lutter contre les stigmatisations persistantes. Au programme également : des modules de formation déployés dans la fonction publique et des adaptations concrètes de l'espace public.
Côté mobilité, un progrès notable : l'annonce d'un diagnostic ne pourra plus, à elle seule, justifier le retrait du permis de conduire (Maladies neurologiques : menace sur le permis de conduire?). Une décision saluée par les associations.
Repérer les premiers signes et préserver l'autonomie
La stratégie marque aussi un tournant préventif, avec un renforcement du programme ICOPE, porté par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), pour repérer les premiers signes de fragilités dès 60 ans (mémoire, nutrition, mobilité, vision, audition, moral) et prévenir la perte d'autonomie. Objectif ? Former 170 000 professionnels à domicile d'ici 2030. Autre innovation : le parcours PassCog', qui permet un diagnostic rapide et coordonné entre généralistes et neurologues.
Offre de soins : vers un accès plus équitable ?
La prévention est pensée de manière globale, en agissant sur plusieurs leviers : santé mentale, nutrition, activité physique ou encore lien social. Mais prévenir ne suffit pas, encore faut-il pouvoir accéder à un diagnostic rapide et à une prise en charge de qualité. Or, sur ce point, les disparités territoriales restent criantes. Certaines régions manquent de neurologues et de structures spécialisées, ce qui retarde l'orientation et creuse les inégalités. La stratégie entend y remédier en renforçant l'offre de soins et en garantissant un accès plus équitable sur l'ensemble du territoire.
Un virage domiciliaire structuré
Rester chez soi le plus longtemps possible, dans de bonnes conditions, tel est le souhait de nombreuses personnes malades. Pour y répondre, la stratégie prévoit la transformation des équipes Alzheimer en équipes spécialisées MND (ESMND), leur nombre devant doubler d'ici 2030 (+500). Les accueils de jour, l'hospitalisation à domicile, les habitats inclusifs ou encore les Centres de ressources territoriaux (CRT) seront renforcés, en partenariat avec les collectivités.
L'approche pluridisciplinaire est valorisée, avec une reconnaissance explicite du rôle des professionnels paramédicaux : ergothérapeutes, orthophonistes, psychomotriciens, infirmiers, kinésithérapeutes… autant d'acteurs clés du maintien de l'autonomie et du soutien global.
Réhumaniser les soins en établissement
La stratégie n'oublie pas les établissements, notamment les EHPAD, où 70 à 80 % des résidents vivent avec des troubles cognitifs. Des Pôles d'activités et de soins adaptés (PASA) seront généralisés, les Unités cognitivo-comportementales (UCC) renforcées, et 100 000 professionnels seront formés à l'accompagnement spécifique des maladies neurodégénératives. L'accent est aussi mis sur une meilleure anticipation de la fin de vie, en lien avec la stratégie soins palliatifs.
Soutenir les aidants, un pilier encore fragile
Les 2,5 millions d'aidants concernés en France bénéficient de quelques mesures dans cette stratégie, comme l'extension des plateformes de répit, mais l'accompagnement reste en deçà des attentes. La voix des aidants a été entendue, certes, mais peu traduite en mesures concrètes. Le gouvernement s'engage à mieux les inclure dans les parcours et à simplifier l'accès aux dispositifs d'accompagnement, sans toutefois fixer d'objectifs chiffrés.
Recherche : placer la France en première ligne
La stratégie veut aussi faire de la France un leader dans la recherche sur les MND. Un programme prioritaire de recherche (PEPR) est lancé en lien avec le plan Brain health, une initiative européenne qui vise à mieux comprendre, prévenir et traiter les maladies du cerveau en coordonnant recherche, données et innovations à l'échelle internationale. Des outils comme la Banque nationale Alzheimer et le Système national des données de santé (SNDS) seront, par ailleurs, consolidés.
Le numérique, nouvel allié du quotidien
Le numérique est aussi présenté comme un levier d'autonomie et de qualité de vie. Une cellule de veille des innovations sera chargée de suivre l'arrivée de nouvelles solutions thérapeutiques, technologiques et éthiques. L'idée : ne pas subir les innovations mais les anticiper et les encadrer. Concrètement, cela passe par le développement du télésuivi, de dispositifs connectés pour surveiller l'évolution de la maladie à distance, ou encore de solutions d'aide à la communication pour les personnes dont la parole est altérée. Ces outils, encore émergents, pourraient transformer le quotidien des malades et des professionnels, à condition d'être pensés avec eux et pour eux.
APF France handicap : entre satisfaction...
Engagée depuis plus de cinq ans dans la co-construction de cette stratégie, APF France handicap salue une « avancée structurante ». « Des mesures contribuent à améliorer le parcours de soins et de vie des plus jeunes malades aux plus âgés à des stades avancés et en fin de vie », souligne l'association, qui note positivement les garanties obtenues sur le permis de conduire, la stratégie pluriannuelle et la coordination renforcée.
... et vigilance
Mais plusieurs angles morts demeurent... Aucun budget clairement affiché, peu d'objectifs chiffrés, et un accompagnement des aidants encore trop discret. La formation des professionnels, notamment en médecine du travail, reste à renforcer. Par ailleurs, des pans entiers comme l'emploi, l'assurabilité, les patients experts ou la téléconsultation sont absents du plan, pointe l'association.
« Engagés depuis notre création auprès des personnes vivant avec des maladies neurodégénératives, nous veillerons à ce que les engagements pris se traduisent concrètement. Nous siégerons au comité de suivi de cette stratégie pour porter la voix des personnes concernées et de leurs aidants », affirme sa présidente, Pascale Ribes.
Le défi du passage à l'acte
Ambitieuse dans son approche, saluée pour sa méthode, cette Stratégie nationale 2025-2030 constitue une étape importante dans la reconnaissance des maladies neurodégénératives. Mais elle ne pourra remplir ses promesses qu'à une condition : être concrètement mise en œuvre sur les territoires, dans la durée, et avec les moyens nécessaires. La mobilisation des associations, des professionnels, des élus locaux et des aidants sera déterminante pour transformer cette feuille de route en réalité tangible. Le rendez-vous est pris.
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