« Les fous sont dans la rue. » Le 26 octobre 2022, l'hebdomadaire Marianne publie une Une qui fait couler beaucoup d'encre… Le titre, au ton provocateur, marque de fabrique du journal d'opinion, se détache d'une photo représentant une ombre angoissante, tout droit sortie d'un film d'horreur. Le sous-titre annonce le dossier majeur abordé dans ce numéro : « 40 ans d'abandon de la psychiatrie », avec en pied de page, le détail du sommaire : « La meurtrière de Lola sera-t-elle jugée ? », « Migrants, SDF, détenus : de la souffrance au passage à l'acte ».
La stigmatisation des troubles psychiques
Les réactions de lecteurs ne se font pas attendre. C'est le choc. Une pétition sur le site Change.org est même diffusée, réclamant la « fin de la stigmatisation par les médias des personnes avec des souffrances psychiques ». Sur Twitter, de nombreuses associations du secteur de la santé mentale montent au créneau. Parmi elles, le Clubhouse, lieu ressource pour les personnes avec un handicap psychique (article en lien ci-dessous). « Votre couverture est une honte. Peu importe la qualité de l'article à l'intérieur. Nous ne vous remercions pas ! », tonnent ses dirigeants. Boris Nicolle, un psychiatre suivi par plusieurs centaines d'abonnés, s'est lui aussi fendu d'un tweet accusateur : « La une, indépendamment du contenu, est problématique en soi ». Un point de vue que partage Marie-Jeanne Richard, présidente de l'Unafam, jointe par Handicap.fr.
« Jouer avec les peurs du grand public »
Si elle a pris « le temps de lire l'intégralité du dossier » avant de s'exprimer, elle reconnaît l'aspect « psychophobe et stigmatisant » de la titraille. « C'est une manière de surfer sur les préjugés et de jouer avec les peurs du grand public. » Tout en nuançant : « Le dossier n'est pas trop mal en soi. Il aborde des réalités : la crise du secteur de la psychiatrie, les fortes disparités géographiques ou encore la question de la réouverture des lits. Encore faut-il prendre le temps d'aller au-delà du titre, ce que peu de gens font. Et c'est là que le bât blesse », reconnaît Marie-Jeanne Richard. Le cas Marianne soulève ainsi trois problématiques. D'abord, le mélange de sujets qui nourrit l'amalgame. Les migrants, SDF, détenus sont tous mis sur le même plan. Regroupés sous le qualificatif « les fous », ils incarnent ce groupe d'individus historiquement mis au ban de la société, considérés comme « dangereux, marginaux et non intégrés ». « C'est faire croire que la psychiatrie n'est à destination que d'un public, déjà stigmatisé. Or 90 % des personnes avec un handicap psychique vivent dans la cité », corrige Marie-Jeanne Richard.
Le poids des mots
Par ailleurs, le titre interroge sur l'emploi du terme « fous ». Est-il oui ou non stigmatisant ? L'Unafam a par exemple fait le choix de le proscrire contrairement au terme « folie », plus générique. Enfin, le problème de l'urgence médiatique se joue en toile de fond : « Pour l'affaire Lola, on n'a même pas attendu les conclusions des psychiatres. On devrait pouvoir leur laisser le temps de faire leur travail et ainsi éviter une surenchère agressive qui cristallise les peurs », admet Marie-Jeanne Richard. D'où l'importance de choisir les bons mots. Pour lutter contre la stigmatisation, l'Unafam a lancé le 10 octobre 2022 une campagne via le hashtag #ParlonsEnAutrement et un spot vidéo sur le mésusage du terme « schizophrénie » dans le champ politique (article en lien ci-dessous).