A l'heure où le Conseil d'Etat (le 20 juin 2014) doit arbitrer le cas de Vincent Lambert, tétraplégique en état végétatif chronique, face à une famille déchirée, à l'heure où dans le même semaine Nicolas Bonnemaison, un médecin qui a aidé certains de ses patients à mourir, comparait devant la justice, une pétition circule sur le Net pour réclamer une loi sur le suicide assisté, permettant aux patients en fin de vie et conscients de faire ce choix.
Vincent Lambert : une famille divisée
Si les parents catholiques traditionalistes de Vincent, cet homme de 39 ans, cloué sur son lit d'hôpital depuis un accident de la route en 2006, souhaitaient qu'il soit maintenu en vie, son épouse, son neveu et le corps médical défendaient l'arrêt des soins, en raison du caractère irréversible des lésions et considérant que cela respectait ses volontés.
Le malade a-t-il le choix ?
A qui doit-on laisser le choix de mettre fin aux jours d'un patient lorsqu'il est atteint d'une maladie incurable ? En premier lieu à lui-même ? C'est ce que pense Nathalie ; son mari est décédé il y a cinq mois de la maladie de Charcot (ou sclérose latérale amyotrophique), après des mois de souffrances intolérables. Il aurait voulu pouvoir mettre fin à ses jours auprès des siens mais cela reste interdit en France. C'est elle qui lance un appel à François Hollande, à Marisol Touraine, ministre de la Santé et des affaires sociales et au Comité consultatif national d'éthique. Elle invite à signer une pétition sur le Net. Ni juriste, ni militante, elle a simplement voulu raconter leur histoire, celle d'une maladie dont on ne guérit jamais…
Croire à un espoir possible
« Nous avons vécu le processus de la maladie tous deux dans notre chair, renonçant progressivement à tout ce que nous aimions vivre ensemble, depuis le début de notre vie commune, il y a 10 ans seulement. Nous avions l'un pour l'autre un amour inconditionnel qui nous a soutenus dans cette effrayante épreuve. Sentiment d'être pris dans des sables mouvants dont rien, ni sa main toujours dans la mienne, ni la médecine, ne pouvait l'extraire. Bien sûr, nous avons eu des moments d'espoir lorsqu'un nouveau protocole était annoncé. Et puis, à un moment, il est devenu évident que la mort allait nous rattraper…
L'évidence de la mort en 18 mois
Raconter notre parcours me semble essentiel pour comprendre comment le choix de mourir peut devenir, à un moment donné, la seule alternative possible. Beaucoup d'autres personnes pourraient témoigner de la sorte : les demandes légitimes de suicide assisté sont très nombreuses en France. En six mois, mon mari est passé du stade de la difficulté à marcher au fauteuil roulant. Encore six mois et les deux jambes atteintes, ses bras ont commencé à s'affaiblir. Il n'avait plus la force de se retourner seul dans son lit, de passer seul du lit au fauteuil roulant, de se laver. Progressivement, la fonte musculaire lui a imposé une assistance permanente. Un an et demi après le diagnostic, l'évidence de la condamnation à mort est apparue…
Trop faible pour aller en Suisse
Fausses routes, essoufflement, toux incessantes nuit et jour en dépit de séances quotidiennes de kinésithérapie respiratoire, amaigrissement de plus de 5 kilos en deux mois… En novembre 2013, mon mari a décidé d'adhérer à l'ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité) ; un de ses fils et moi-même avons accepté de signer ses directives anticipées en qualité de personnes de confiance. Mi-décembre 2013, à sa demande, nous avons tenté d'aller en Suisse mais il a été jugé intransportable. L'abandon de ses forces était tel qu'il n'avait plus l'énergie de lire, de parler, de s'alimenter, de tenir son téléphone portable. Mon mari n'avait plus qu'une envie : mourir. Face à la progression fulgurante de la paralysie musculaire, nous avons tenté de recourir à la prescription de morphine car nous savions que le surdosage l'aiderait à mourir.
Enfin délivré par la morphine
Face à la réticence des médecins (hospitaliers et généraliste de ville) qui, incrédules, ne voulaient pas reconnaître la précipitation de l'évolution, nous avons dû batailler plusieurs jours avant de nous rendre enfin à l'hôpital pour une ultime consultation entre Noël et le jour de l'An. Enfin, ils ont accepté de nous recevoir aux urgences. Une prescription de morphine (à commander à notre pharmacie) nous a été remise. L'hôpital n'a pas pu (ou pas voulu) lui en administrer. Nous avons dû attendre une ambulance trois heures pour pouvoir rentrer chez nous. Mon mari est mort ce jour-là, chez nous, quelques minutes après avoir été allongé sur notre lit. Il était médecin psychiatre-psychanalyste et, depuis toujours, redoutait de mourir à l'hôpital. Je lui ai tenu la main, lui ai dit encore mon amour. Ses trois enfants étaient chez nous…
Partir lorsqu'il avait la force de nous parler
Je revis mentalement depuis 5 mois le parcours de la maladie, le courage extraordinaire de cet homme qui croyait en la science. Il ne voulait pas nous faire vivre cette lente progression torturante de l'avancée vers la mort. Il aurait voulu s'endormir pour ne plus se réveiller. Hélas, en France, il n'est pas possible de recevoir une aide pour cela, qui nous aurait permis de vivre ces derniers moments dans une sorte de sérénité et d'apaisement. Il aurait voulu pouvoir nous quitter, ses enfants et moi, au moment où il avait encore la force de nous parler.
Une augmentation des suicides violents
J'en appelle aujourd'hui à toutes celles et ceux qui comprennent que, face à une telle situation, un malade peut souhaiter mettre fin volontairement à sa vie, la souffrance psychique et physique étant devenue insoutenable. Ne pas les aider est inciter à des suicides violents, dont le nombre augmente en France, ou les renvoyer à une situation ultérieure où ils ne pourront plus agir par eux-mêmes. Pour qu'une loi soit votée, cette année… »