Protection enfance dans l'impasse, mineurs en souffrance

Enfants laissés dans leur famille défaillante, éducateurs avec "la boule au ventre". La Protection de l'enfance fait face à une crise majeure. Parmi ces mineurs en souffrance, 80 % sont sous traitement pour problèmes psychiques.

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Silhouette d'un enfant de dos marchant sous un ciel d'orage.

Par Catherine Fay de Lestrac

"Nous sommes dans une impasse alors qu'il y a plus de mineurs à protéger. La pénurie des métiers de l'humain ne permet plus aux associations de remplir leurs missions", indique Daniel Goldberg, président de l'Uniopss, fédération d'associations dans le secteur social. Les établissements et services de Protection de l'enfance sont gérés en très grande majorité par des associations. Rappelons qu'entre 15 et 30 % des enfants et jeunes pris en charge par l'ASE (Aide sociale à l'enfance) présentent des handicaps, principalement psychiques (Lire : ASE : 15 à 30 % des jeunes concernés par un handicap). L'Uniopss a interrogé en novembre 314 de ces établissements et services : 97% ont des difficultés à recruter avec un taux moyen de 9 % de postes non pourvus.

Attente dans des familles défaillantes

A la suite du Territoire de Belfort en octobre 2023, le département de l'Ain a annoncé suspendre pour trois mois l'accueil des mineurs isolés étrangers, faute de "solutions" pour les accueillir. "L'ouverture de 30 places est retardée faute de personnels d'encadrement", explique à l'AFP Bérangère Novel, responsable Enfance Adoption dans l'Ain. Les Bouches-du-Rhône ont menacé en novembre de faire de même, arguant de difficultés de recrutement. "Les structures doivent fermer des services ou réduire leur capacité d'accueil. Des enfants peuvent attendre dans des familles dangereuses ou défaillantes jusqu'à 18 mois pour voir une décision de placement exécutée. 60% des établissements et services ont été contraints d'accueillir en surcapacité", énumère M. Goldberg. 

Pas de structures adaptées

Quatre structures sur dix font appel à l'intérim, selon lui. Mais "un intérimaire coûte 62% plus cher qu'un CDD et le turnover insécurise les enfants", témoigne Katy Lemoigne, directrice générale de l'association Chanteclair Mayenne, qui suit 1 200 enfants. "A force de voir des éducateurs différents venir les réveiller, des enfants sont agités ou n'entrent plus en relation", confirme Mme Novel. Or, les besoins sont accrus, avec une crise Covid qui a aggravé les difficultés des familles et un meilleur repérage de l'inceste, disent les professionnels. "Aujourd'hui 80 % des jeunes que nous suivons prennent des traitements pour des problèmes psychiques ou psychiatriques. Nos personnels ne sont pas formés pour accueillir ce type d'enfants. En Mayenne, neuf postes publics de pédopsychiatrie sont budgétés et un et demi sont pourvus", ajoute-t-elle. Les associations sont contraintes de prendre des jeunes handicapés ou des mineurs délinquants condamnés, sans avoir les structures adaptées et les personnels formés, faute de place dans les structures spécialisées, soulignent les professionnels.

"Tout le monde souffre"

Malgré ces besoins toujours plus complexes, les éducateurs n'ont plus le temps d'accompagner les jeunes comme il le faudrait, ni faire de la prévention auprès des familles. "Le week-end, un éducateur se retrouve à gérer seul sept jeunes entre 6 et 18 ans : si l'un d'entre eux doit voir son parent, il emmène toute la petite troupe avec lui", regrette Mme Lemoigne. Et les problèmes de sécurité mettent à l'épreuve la vocation des travailleurs sociaux et entraînent des démissions. "Les violences des jeunes entre eux et à l'égard des éducateurs sont monnaie courante. Les gens me disent 'pour un petit salaire, je n'ai pas envie d'aller bosser la boule au ventre'", poursuit-elle.

Un Livre blanc sur le travail social

"Nous avons un polytraumatisé qui empêche les autres de dormir jusqu'à une heure du matin, tous les soirs. Quand un enfant multiplie les crises, tout le monde souffre, cela crée du découragement, cela nous empêche de recruter", confirme Arnaud Durieux, qui dirige la maison d'enfants de Draveil (Essonne). Un Livre blanc sur le travail social remis le 5 décembre 2023 au gouvernement préconise de revaloriser les salaires, bas dans le secteur : un éducateur spécialisé (bac+3) est payé quelque 1 600 euros nets en début de carrière, 2 700 en fin (Lire : Travail social : un livre blanc pour répondre à l'urgence ?). Mais les départements -qui financent la protection de l'enfance- voient leurs ressources fondre : liées aux droits de mutation, elles baissent avec la contraction du marché immobilier.

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