« Liège : un schizophrène s'introduit dans l'appartement d'une femme avec une scie... et lui fabrique un placard sur-mesure en moins de deux heures. » « Des morceaux d'un compositeur disparu retrouvés au domicile d'un schizophrène... Musicien passionné, il les interprète régulièrement sur scène. » À l'heure où la santé mentale est proclamée « Grande cause nationale », les préjugés sur la schizophrénie sont encore légion, freinant la prise en charge des 600 000 Français concernés. C'en est trop pour l'association PositiveMinders, qui lance une campagne de sensibilisation à l'occasion des Journées de la schizophrénie, du 15 au 22 mars 2025. Sur un ton parodique et satirique, elle vise à détourner des faits divers pour mettre en avant les " faits ordinaires " de personnes vivant avec ce trouble psychique, technicien en radiologie, jardinier, comptable, enseignant...
« Les meurtriers sont plus souvent diabétiques que schizophrènes »
« Pour expliquer un meurtre, avez-vous déjà révélé que son auteur est diabétique ? Bien sûr que non ! Et, pourtant, statistiquement, l'auteur est nettement plus souvent diabétique que vivant avec une schizophrénie », interpelle Jean-Christophe Leroy, directeur général de PositiveMinders, s'adressant aux médias. En effet, « pour interpeler leur public, ces derniers n'hésitent pas à associer les faits divers sordides et les troubles psychiatriques, observe l'association. Cela permet souvent de trouver une explication facile à une motivation non comprise. »
Médias : quand le sensationnalisme renforce les préjugés
Misant sur le sensationnel, certaines chaînes « contribuent à renforcer la crainte de la population à l'égard des troubles psychiques, en assimilant tous les schizophrènes à des 'malades dangereux', capables de tuer des gens etc., alors que c'est une minorité de cas », confirme Maximilien Durant, jeune homme schizophrène, pointant notamment l'émission récemment diffusée sur M6 : Malades dangereux : comment empêcher la folie de tourner au drame ?. « Je ne l'ai pas vue mais rien que le titre est stigmatisant et l'émission axée sur des personnes hospitalisées, majoritairement dans des UMD (Unités pour malades difficiles), qui ne représentent pas la majorité des personnes concernées par ce trouble. » Résultat : ces dernières ne se reconnaissent pas dans le diagnostic car, la plupart du temps, elles ne sont pas violentes, souligne PositiveMinders. Ce phénomène s'appelle l'auto-stigmatisation.
« Les schizophrènes, plus souvent victimes de violences qu'auteurs »
Mais, alors, d'où vient cette croyance ? « Certains épisodes aigus avec des idées délirantes ou hallucinations très envahissantes peuvent entraîner des états d'agitation en lien avec une anxiété massive, explique Mylène Moyal, psychiatre au GHU (groupe hospitalo-universitaire) Paris psychiatrie et neurosciences. Mais les chiffres montrent que les patients atteints de schizophrénie sont davantage victimes de violences qu'auteurs. » Et pourtant, plus de trois quarts des Français considèrent les personnes schizophrènes comme « dangereuses pour autrui » (78 %) et croient que cette maladie se manifeste forcément par un dédoublement de la personnalité (76 %), selon le sondage OpinionWay pour PositiveMinders publié en 2024.
Des préjugés ancrés dans l'opinion publique et le milieu médical
Ces clichés sont aussi présents dans le milieu médical, « probablement en raison d'un manque de formation », observe Mylène Moyal. 70 % des médecins généralistes associent ainsi ce trouble à une dangerosité potentielle (Baromètre de la schizophrénie, Unafam et Promesses, 2018). Sachant que « plus de 20 % des consultations de médecine générale concernent la santé mentale, il est nécessaire de former d'avantage ces professionnels, notamment via un passage dans les services de psychiatrie pendant leur cursus (internat) », poursuit-elle.
« 7 ans d'errance, 7 ans de souffrance »
Ces préjugés condamnent les personnes concernées à sept ans d'errance diagnostique. « Sept ans de souffrance ! », clame PositiveMinders, qui dénonce « des effets dévastateurs sur leur rétablissement ». « C'est effectivement un délai excessif, et l'on sait que plus la 'durée de psychose non traitée' est longue, moins bon est le pronostic », insiste Mylène Moyal, exhortant à le limiter urgemment. Maximilien Durant l'a lui-même éprouvé, se retrouvant seul face à son mal-être, ses pensées parasites violentes, ses hallucinations visuelles et cette voix qui résonnait dans sa tête, six longues années durant. « Je ne savais pas à qui parler de ce que je vivais, j'avais honte et peur des conséquences et des réactions », confie le trentenaire. « Je pense que ma famille était vraiment dans une incompréhension totale, mais elle n'a pas non plus cherché à en savoir plus... » Lorsque le verdict tombe, certains membres de sa famille optent pour le déni, d'autres la fuite ou encore le rejet. « J'ai vu leur regard changer et la peur s'installer. J'avais l'impression qu'on me voyait comme un monstre et qu'on m'évitait. C'était très dur à vivre. » Aujourd'hui médiateur de santé pair, Maximilien s'appuie sur son expérience pour aider les personnes schizophrènes dans leur processus de rétablissement.
« Une vie épanouissante » grâce à une prise en charge adaptée
« Cette maladie survient souvent entre 15 et 25 ans, une période où le rôle des parents et de l'entourage est clé pour repérer les premiers signes et favoriser une prise en charge rapide. Sans cette vigilance, l'errance aggrave l'isolement des patients et de leurs familles », déplore l'association. Or, avec un diagnostic précoce et un traitement approprié – qui associe souvent des antipsychotiques et des thérapies psychosociales et un soutien familial –, plus de 60 % des personnes « mènent rapidement une vie épanouissante » (étude de David Fowler, IEPA 2021). « Les personnes schizophrènes sont comme tout le monde, ont des envies, des buts, des projets, des valeurs, des goûts... Ce sont des êtres humains avant tout, et non une maladie sur pattes ! », martèle Maximilien Durant.
Des programmes et centres de dépistage précoce
Face à ce constat, de plus en plus de centres de dépistage précoce voient le jour à travers le pays. « Le centre d'évaluation du jeune adulte et de l'adolescent pour les 15-25 ans dans lequel je travaille permet de suivre les patients présentant des prodromes de schizophrénie (troubles cognitifs, symptômes délirants a minima) et de poser un diagnostic le plus tôt possible, indique Mylène Moyal. Il existe également dans ce service le programme de psychoéducation 'pro-famille' qui vise à accompagner les patients et leurs familles après l'annonce. »
Une centaine d'évènements dans 10 pays
En parallèle, des initiatives comme les Journées de la schizophrénie contribuent à déstigmatiser les troubles psychiques et à sensibiliser le grand public à la nécessité d'un accès aux soins adaptés. Pour sa 22e édition, cette manifestation s'étend dans une dizaine de pays (France métropolitaine et territoires d'Outre-mer, Suisse, Belgique, Madagascar, Burundi...). Au programme : 40 évènements virtuels et 50 en présentiel, tels que des tables-rondes, conférences, témoignages, ateliers, groupes de parole, ciné-débats, expositions, concerts... Rendez-vous sur le site des Journées de la schizophrénie pour découvrir les évènements près de chez vous !
En attendant, découvrez notre passionnante interview de Maximilien Durant dans son intégralité : Schizophrénie : témoignage percutant pour briser les tabous
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