78 % des Français jugent la schizophrénie « dangereuse », selon l'étude Opinionway pour PositiveMinders, publiée en février 2024. Ces préjugés persistants favorisent l'errance diagnostique – qui est de sept ans en moyenne – et freinent considérablement l'accès aux soins des 600 000 Français concernés. Pour changer la donne, Maximilien Durant, 31 ans, livre son quotidien avec celle qui partage sa vie depuis 15 ans, pour le pire et le meilleur...
Handicap.fr : Une réaction à ce « chiffre », pour commencer ?
Maximilien Durant : J'ai moi-même longtemps envisagé la schizophrénie sous cet angle, et c'est malheureusement une croyance qui reste ancrée dans la tête des gens. En même temps, les médias et les films la renforcent... Par exemple, j'ai vu que M6 avait récemment diffusé une émission intitulée Malades dangereux : comment empêcher la folie de tourner au drame ?. Je ne l'ai pas vue mais le titre est stigmatisant et l'émission axée sur des personnes hospitalisées, majoritairement dans des UMD (Unités pour malades difficiles), ce qui va contribuer à renforcer la crainte de la population à l'égard des troubles psychiques, en assimilant tous les personnes avec schizophrénie à des « malades dangereux », capables de tuer des gens etc., alors que c'est une minorité de cas. D'ailleurs, les personnes atteintes de schizophrénie sont plus souvent victimes d'agression qu'auteurs. Il faut prendre conscience qu'elles sont comme tout le monde, ont des envies, des buts, des projets, des valeurs, des goûts... Ce sont des êtres humains avant tout, et non une maladie sur pattes !
H.fr : Comment s'est déclarée votre schizophrénie ?
MD : Elle est apparue de façon insidieuse accompagnée d'une dépression, lors de mon entrée en sixième, après avoir emménagé dans l'Eure, loin de mes amis, dans une ville qui me semblait hostile. Je suis passé de la campagne à une ville bruyante et, au même moment, j'ai dû m'intégrer dans un collège, ce qui a produit beaucoup de stress. J'ai commencé par très mal dormir et, très vite, à avoir des pensées parasites sur des thèmes sexuels et violents dont j'avais honte. Puis j'ai entendu une voix dans ma tête, de plus en plus présente, de plus en plus forte, sans compter les hallucinations visuelles (je voyais du sang sur mes mains, sur les murs, le sol)... Je me suis également senti persécuté au fil des années. Je pensais (et c'est encore présent aujourd'hui) qu'il y avait des caméras et des micros cachés un peu partout chez moi et à l'extérieur, comme dans les toilettes publiques ou à l'hôtel.
H.fr : Des symptômes très invalidants, que vous avez pourtant décidés de cacher à vos proches. Pourquoi ?
MD : J'ai été hospitalisé pour la première fois juste après la classe de troisième, pour dépression. Je cachais tout le reste des symptômes à ma famille car j'avais peur d'être enfermé pour toujours en psychiatrie. Je craignais aussi de devenir violent à cause de la voix qui me disait de l'être. J'étais surtout violent envers moi-même.
H.fr : Vos parents ont hésité à consulter un psychiatre malgré cette hospitalisation à 16 ans. Pourquoi ?
MD : Le collège avait indiqué que je devais voir un psychiatre ou psychologue avant mon hospitalisation car je me scarifiais, mais mon père ne voulait pas. Pour lui, consulter un professionnel de la santé mentale c'était pour les « fous ». Cette réaction a aussi joué en ma défaveur pour accéder à des soins de manière plus précoce. Après ma première hospitalisation, je suis revenu dans le Calvados où j'étais suivi par une psychiatre. Mes parents et moi avons toujours eu du mal avec les psychiatres. D'ailleurs l'une d'elles nous a dit que je ne serai peut-être pas capable de travailler ni de faire un café. Et pourtant aujourd'hui, je travaille. Alors effectivement, je ne sais toujours pas faire de café mais il faut dire que je n'en bois pas ! Puis je sais faire tellement d'autres choses...
H.fr : À quel moment le diagnostic est-il tombé ? Quel impact a-t-il eu sur votre famille ?
MD : En classe de seconde ou première. L'errance médicale a donc duré cinq ou six ans, notamment parce que je ne savais pas avec qui parler de ce que je vivais, j'avais peur des conséquences et des réactions. Mes parents et moi avons été convoqués par une psychiatre lors de la pose du diagnostic. Dans mes souvenirs, on ne nous a pas vraiment expliqué ce qu'était la schizophrénie. Mon père l'a ensuite annoncé à des membres de notre famille mais sans entrer dans les détails puisque nous manquions nous-mêmes d'informations. La peur s'est alors installée... J'ai appris que ma demi-sœur ne souhaitait pas dormir chez mes parents parce qu'elle redoutait que je fasse du mal à ses enfants.
À un moment, mon père ne voulait plus penser à ma maladie tandis que mon frère et ma belle-sœur affirmaient que je n'étais pas malade, alors que j'étais sous traitement. Cela aurait pu avoir un impact sur mon adhésion aux soins et entraîner l'arrêt de mon traitement... Je pense que ma famille était vraiment dans une incompréhension totale, mais elle n'a pas non plus cherché à en savoir plus.
H.fr : Comment avez-vous réagi face à la peur et au déni de vos proches ?
MD : Ça m'a fait beaucoup de mal. J'ai donc écrit une lettre à mes parents en leur demandant de ne plus évoquer mon diagnostic avec qui que ce soit, et que c'était à moi de le faire ou non. Après une énième hospitalisation, une très grande partie de la famille a finalement été au courant, et j'ai vu leur regard changer. J'avais l'impression qu'on me voyait comme un monstre et qu'on m'évitait. C'était très dur à vivre.
H.fr : Quel impact la schizophrénie a-t-elle eu sur votre développement, votre quotidien ?
MD : C'était particulièrement invalidant à l'école, notamment en licence de psychologie, j'avais beaucoup de mal à rester concentré, à apprendre les cours, pourtant ils me passionnaient. De plus, j'étais une personne très timide dotée d'une faible estime de soi, et je pense que la schizophrénie n'a pas aidé dans un premier temps. Comme je me sentais persécuté, j'évitais certaines rues bondées et m'isolais peu à peu.
Aujourd'hui je vois les choses différemment : je n'ai plus peur de parler de ma schizophrénie, j'en ai même fait une force. Elle m'a apporté beaucoup de choses positives, m'a permis de trouver ma voie, celle de médiateur de santé pair (dans laquelle je me sers de mon expérience pour accompagner d'autres personnes vers leur rétablissement), de me transcender, de combattre ma timidité, d'explorer tellement de choses, comme l'écriture et la peinture... Et, surtout, cette maladie m'a donné un but : déstigmatiser les troubles psychiques.
H.fr : Avez-vous été personnellement ciblé par des préjugés ?
MD : Oui, j'ai même été l'auteur de certains d'entre eux. Je me disais que je n'étais pas capable de faire telle ou telle chose à cause de mon handicap. Dans les relations amoureuses, aussi, c'est compliqué. Certaines femmes refusent d'être avec moi car elles ont des a priori sur ma maladie ou pensent qu'elles devront « s'occuper de moi ». Certains amis avaient également peur de rester seul avec moi, au début, avant de m'avouer, quelques mois plus tard, qu'ils se sentaient plus en sécurité avec moi qu'avec d'autres, « valides ».
Il y a quelques années, je me suis rendu aux urgences car je faisais une colique néphrétique. À peine arrivé, j'entends quelqu'un crier : « Il est schizophrène ! Il est schizophrène ! », après avoir consulté mon dossier médical. J'étais en colère mais je ne pouvais pas l'exprimer à cause de la douleur. Les soignants ne m'ont pas du tout pris au sérieux, ils ont juste traité la douleur mais n'ont pas fait le moindre examen, comme celui des urines qui est habituellement préconisé. La perte de chance au niveau des soins est très courante en cas de handicap psychique.
H.fr : Comment changer la donne, selon vous ?
MD : Il faut continuer à sensibiliser la population en passant par un maximum de canaux, que ce soit dans les médias, les écoles, les collèges et lycées, afin de permettre aux personnes qui s'interrogent de pouvoir en parler plus facilement à leur famille, leurs amis ou aux médecins. L'objectif est d'accéder aux soins le plus tôt possible afin d'éviter que les troubles s'installent et s'aggravent. Il faut aussi sensibiliser les professionnels (enseignants, soignants...). Lors de mes études en psychologie, on ne parlait jamais des personnes avec schizophrénie qui s'en sortaient, il n'y avait pas de notion de rétablissement. Les cours étaient très centrés sur la limitation des symptômes et non sur ce que souhaitait la personne, ce qui est pourtant complémentaire.
D'ailleurs les étudiants infirmiers ont peu de cours de psychiatrie, et je constate encore beaucoup de préjugés autour de ce trouble dans cette population quand je fais des interventions dans le cadre de mon travail. Il faudrait également que les médias accordent une plus grande visibilité aux témoignages des personnes concernées. C'est notamment pour cela que j'ai créé une chaîne YouTube (Maximilien Durant Schizophrénie) via laquelle je brise tabous et idées reçues ! Les personnes avec schizophrénie sont comme tout le monde, ont des envies, des buts, des projets, des valeurs, des goûts... Ce sont des êtres humains avant tout, et non une maladie sur pattes.
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Schizophrénie : témoignage percutant pour briser les tabous
"Lorsque ma famille a appris pour ma schizophrénie, j'ai vu leur regard changer, la peur s'installer." Maximilien livre un témoignage percutant pour briser les préjugés sur ce trouble psychique, à l'occasion des Journées dédiées, du 15 au 22 mars.

"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"