Par Alexandra Lesieur
"C'est un portrait de Molière...", lance Francis Perrin, "en 50 minutes", enchaîne aussitôt son fils Louis. Diagnostiqué autiste sévère à 3 ans, le jeune homme donne pour la première fois le 20 juin 2019 à 21h, près de Bordeaux, la réplique à son père, étonné et heureux d'un tel parcours. "C'est magnifique !", s'enthousiasme Louis, 17 ans, "très content" de se produire, pour une unique représentation, à Gradignan dans le cadre d'un festival « Arts Musez-vous » à l'Institut Don Bosco, une association régionale qui aide enfants et adultes ayant un handicap psychologique ou social.
Papa et fils heureux
Cheveux bruns légèrement bouclés, Louis écoute pendant la répétition les conseils de son père, exigeant comme avec tout autre comédien : "il faut être vraiment en énergie, tenir l'auditoire en haleine et que tu penses bien à regarder le public". Louis s'exécute brillamment et n'hésite pas à reprendre son père quand il se trompe durant ce spectacle tiré de "Molière malgré moi", que jouait seul et sous une forme plus longue Francis Perrin. Sous un chapiteau, père et fils se donnent la réplique devant deux pupitres noirs, échangeant des regards complices, souvent tendres. La vie de Molière défile accompagnée par Dom Juan, Sganarelle, George Dandin, Monsieur Jourdain... et surtout Scapin. "C'est mon moment préféré ! Francis Perrin, mon papa, a fait 333 représentations des Fourberies de Scapin", sourit Louis. Son plaisir d'être sur les planches est communicatif en Scapin, rôle tenu par son père. "Je suis sur un nuage car je ne pensais pas qu'on pouvait en arriver là, qu'il pouvait comprendre mes indications. Pour lui, c'est formidable car il est vraiment heureux. Il l'a bien mérité car il a beaucoup travaillé", se réjouit l'acteur de la série télévisée "Mongeville".
Faire le deuil de son enfant ?
A l'aise à la ville comme sur scène, le jeune homme a déjà joué un petit rôle à la fin d'un téléfilm, Presque comme les autres (2015), qui raconte son histoire. L'enfant ne suit pas le regard, dort une heure par nuit, se cogne la tête... Le couple multiplie les consultations jusqu'à diagnostiquer l'autisme eux-mêmes. Un grand spécialiste leur dit : "Faites le deuil de votre enfant. Laissez tomber", raconte Francis Perrin. Les Perrin ne baissent pas les bras. Grâce à un traitement par stimulation permanente appelé A.B.A (Applied Behavior Analysis), leur fils aîné apprend à manger, boire, marcher... et supporter le bruit : il peut à 7 ans venir pour la première fois voir son père au théâtre puis saluer avec lui sur scène. Depuis, Louis n'a plus besoin d'intervenants, suit des cours par correspondance et se cultive en autodidacte notamment sur sa grande passion : les transports, jusqu'à reconnaître le son du métro de Stockholm à la télévision.
Je serai chanteur…
"D'où il est parti, c'est vraiment époustouflant. On n'en revient pas. On ne pensait pas qu'à 17 ans, il en serait là", répète l'artiste qui avec son épouse Gersende s'est longuement battu pour la reconnaissance des méthodes comportementales. Malgré des avancées notables depuis le début de leur combat, beaucoup reste à faire, selon des spécialistes : une détection précoce en informant les généralistes, pédiatres, enseignants, former les accompagnants qui les aident en classe, augmenter leur nombre, réduire les délais de prise en charge et développer les écoles spécialisées. "La réponse qui a été faite en France a été psychanalytique", rappelle Jean-Louis Descudet, président de l'Institut Don Bosco où la liste d'attente est longue alors qu'un enfant sur 700 naît autiste. L'école traditionnelle ne suit pas toujours. Celle où le petit Louis devait aller, a refusé son accompagnante en classe. Il a alors pris des cours par correspondance avec son frère et sa soeur, qui ont tenu à faire comme lui. Aujourd'hui en 3e, Louis se prépare à suivre un CAP en photographie. Il aimerait continuer à jouer Molière, mais le comédien en herbe se destine déjà à une autre carrière : "Je serai chanteur".