Par Thomas Urbain
Au départ du marathon de New York, le 3 novembre 2024, Jasmine Murrell, aveugle, n'a pas aperçu la ligne des gratte-ciels de Manhattan ou les rangées de spectateurs en liesse mais elle a pu ressentir les "vibrations" de cette course hors normes...
Le premier marathon en couple
Le mari de Jasmine, Kevin Orcel, atteint d'un glaucome moins avancé que celui de son épouse, également au départ, ne se faisait pas beaucoup d'illusions. "Après deux ou trois kilomètres, elle va décoller", plaisantait le trentenaire en amont de la course. Contrairement à sa compagne, il vivait son premier marathon, après 12 semi-marathons. Venus du New Jersey, Jasmine et Kevin ont pu compter sur le soutien de deux guides de l'association Achilles international, le plus grand organisme mondial d'accompagnement des personnes en situation de handicap sur des courses d'endurance.
Etablir une connexion avec son guide
Un des deux guides de Jasmine s'entraîne avec elle depuis longtemps. "C'est important d'avoir cette connexion, dit-elle. Il sait déjà ce qu'il faut annoncer et quelle est la meilleure façon de communiquer." Jasmine, mère d'un jeune garçon nommé Elijah, peut voir des ombres et des formes de son œil droit, mais rien côté gauche. Kevin comptait sur ses accompagnateurs pour lui dépeindre un peu de la folie ambiante. "Je leur dis : 'Lisez-moi les pancartes'. Il y en a pas mal qui sont drôles et elles peuvent aussi vous motiver." "Pour moi, ce sont les vibrations de la foule, les encouragements et tout ce bruit", explique Jasmine. "Je convertis ça en stimulation, donc je suis aussi capable d'avoir cette poussée d'adrénaline et d'excitation."
"Signaler les panneaux amusants, les costumes"
"Je demande toujours les préférences (des coureurs) avant", raconte Tianna Biscone, bénévole d'Achilles, car, "pour certains, courir est difficile et ils préfèrent se concentrer là-dessus" et limiter les échanges avec leur guide. Mais, pour les concurrents qui sont prêts à discuter, dit-elle, "c'est vraiment sympa, surtout durant un marathon", de signaler "les panneaux amusants, les costumes, de les aider à vivre ça d'une autre manière".
Une 1ère course vers l'inconnu "terrifiante"
Participer à un événement de masse qui réunit plus de 50 000 personnes lorsqu'on a une vision limitée ou nulle est un défi. "Quand j'ai fait mon premier jogging, j'avais 22 ans et je ne m'étais jamais déplacé sans ma canne", se souvient Francesco Magisano, aveugle et aujourd'hui directeur de l'antenne new-yorkaise d'Achilles. "Courir vers l'inconnu a été l'une des choses les plus terrifiantes que j'aie jamais faites", dit celui qui a depuis fini un marathon en 3h30. "Il m'a fallu quelques mois d'entraînement pour être suffisamment à l'aise et me détendre."
Un guide et un accompagnateur placé devant
Le dispositif classique comprend un guide relié par une cordelette à son coureur non-voyant ainsi qu'un second accompagnateur placé quelques mètres devant pour signaler d'éventuels obstacles et en écarter certains. "L'an dernier, je n'ai pas réalisé que j'étais fatiguée avant le 40e kilomètre", sur 42, se remémore Sarah Luposello, également bénévole pour Achilles. "J'étais tellement concentrée sur le parcours, (...) le sol. Est-ce qu'il y a un trou ? Une peau de banane qui traîne ? Une station de ravitaillement ?" L'antenne d'Achilles à New York est de loin la plus importante de ce réseau mondial, avec environ 700 coureurs et 4 500 bénévoles.
Un défi unique en duo
"Je finis toujours par perdre ma voix après avoir guidé un marathon, parce qu'on parle tout le temps, à son athlète ou pour demander aux gens de s'écarter, décrit Tianna Biscone. C'est pour ça que j'aime tant ça. C'est un défi vraiment unique que vous ne pouvez pas vivre en courant seul." Si les premières sensations du coureur non-voyant sont souvent teintées de nervosité, une fois l'habitude prise et une relation nouée avec un guide, s'ouvre la porte vers la plénitude.
"Juste du plaisir, rien à penser"
"En tant qu'aveugle, traverser la rue est probablement la chose la plus stressante que vous soyez amené à faire", selon Kevin Orcel. "Mais pouvoir courir sur une route en sachant que la voie est protégée, (...) c'est assez libérateur." "C'est juste du plaisir, n'avoir à penser à rien, confirme Jasmine Murrell. Je n'ai qu'à courir et aller jusqu'à la ligne d'arrivée."
© Instagram jasmine_murrell