L'intérim ouvre ses portes aux travailleurs handicapés

1.3% d'intérimaires handicapés ! Une convention entre Prism'emploi et l'Etat entend favoriser l'inclusion via le travail temporaire. La branche assure vouloir mener une politique offensive, selon sa déléguée générale

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Handicap.fr : Quoi de neuf sur la question « intérim et handicap » ?

Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism'emploi : Parce que le gouvernement entend faciliter l'accès au marché du travail des personnes handicapées sous toutes ses formes, il a signé, avec Prism'emploi, qui représente 600 entreprises de travail temporaire, une nouvelle convention le 20 septembre 2018 (article en lien ci-dessous) dans le prolongement de la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».

H.fr : En interrogeant les uns et les autres, nous avons eu le sentiment qu'il y avait encore un certain flou autour de ce sujet. Est-ce le cas ? En quoi cette récente signature peut-elle vraiment changer la donne ? 

IEC : Dans certains territoires, nous avons des partenariats qui fonctionnent merveilleusement alors que c'est moins le cas dans d'autres. Nous avons donc besoin d'aligner tous les acteurs pour qu'il n'y ait plus de questionnement sur le fait que le travail temporaire peut constituer un partenaire majeur, notamment dans les Plans régionaux d'insertion de travailleurs handicapés (PRITH). Notre plan d'actions jusqu'à la fin de l'année doit nous permettre de démarrer 2019 avec une formidable énergie sur le sujet. 

H.fr : Les intérimaires en situation de handicap étaient-ils, jusqu'à maintenant, comptabilisés dans l'obligation d'emploi, le fameux quota de 6 % ?

IEC : Oui. Lorsque nous déléguons un salarié intérimaire dans une entreprise, il est bien décompté au prorata de sa présence par l'entreprise utilisatrice et il rentre donc directement dans l'obligation d'emploi de 6 %. La loi Avenir professionnel confirme ce mécanisme. 

H.fr : Pourtant, les annonces du ministère du Travail laissent à penser qu'il s'agit d'une nouveauté...

IEC : Cela s'explique par le fait qu'une certaine confusion existait dans les esprits à ce sujet en raison de la nouvelle DSN (déclaration sociale nominative) dont la logique aurait pu conduire à déplacer l'obligation d'emploi de 6% vers les entreprises de travail temporaire. 

H.fr : Ah bon ? Quelle drôle d'idée !

IEC : En effet. Nous avons donc rappelé à nos interlocuteurs que ce ne sont pas les entreprises de travail temporaire qui déclenchent de manière autonome l'embauche d'un salarié intérimaire handicapé. Pour maintenir une incitation à l'embauche, il était vital de continuer à décompter les salariés intérimaires dans l'obligation d'emploi des entreprises utilisatrices !

H.fr : Vous avez donc obtenu gain de cause ? 

IEC : Oui, après quelques explications très concrètes, tout comme nous avons obtenu de ne pas être considérés comme des prestataires de service...

H.fr : Car, là, vous seriez tombés sous le coup de la réforme qui précise que les sous-traitants (type Esat) et travailleurs indépendants handicapés ne sont plus pris en compte dans ces 6% mais seulement décomptés de la contribution due aux fonds (Agefiph et Fifphfp)...

IEC : Oui, absolument et il n'était pas envisageable de faire de différence entre un salarié permanent de l'entreprise et un intérimaire qui travaille, pourtant, dans les mêmes conditions et la même communauté de travail. Sophie Cluzel a totalement partagé cette vision. 

H.fr : Sera également expérimentée la création d'un nouveau « motif de recours » à l'intérim : de quoi s'agit-il ?

IEC : C'est le deuxième point sur lequel le soutien de la ministre a été déterminant, un petit alinéa dans la loi mais un levier gigantesque. Nous pourrons à l'avenir déléguer un salarié intérimaire handicapé, au motif, précisément, qu'il est en situation de handicap. C'est vraiment une nouveauté remarquable apportée par la loi, qui l'introduit à titre expérimental du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021. Grâce à ce nouveau cas de recours, nous n'aurons plus besoin de justifier des cas de recours classiques, à savoir le remplacement d'un salarié absent ou un surcroît temporaire d'activité.  

H.fr : Avant, une entreprise avait-elle la possibilité de dire : « Je veux recruter un travailleur handicapé » ?  

IEC : Non et il n'en sera d'ailleurs pas différemment demain. Lorsqu'une entreprise veut afficher son intention de recruter davantage de salariés handicapés, elle doit être dans une logique d'affirmation de sa mobilisation mais pas dans une logique automatique qui pourrait être interprétée comme une discrimination positive. Concrètement, les offres d'emploi plutôt orientées vers des profils de travailleurs handicapés mentionnent toujours que l'entreprise a un engagement fort dans ce domaine. Cela permet de donner un signal sans pour autant réserver l'offre d'emploi à un travailleur handicapé.

H.fr : Oui, mais, en même temps, vous disiez que ce nouveau motif de recours permettait de cibler l'embauche d'un travailleur handicapé. C'est contradictoire, non ? 

IEC : Disons qu'il s'agit d'une approche pragmatique et facilitante. Si une entreprise utilisatrice, qui se heurte souvent au déficit de « vivier », se rapproche d'une entreprise de travail temporaire en disant « J'ai vraiment besoin de vous pour trouver des profils de salariés handicapés car je n'y parviens pas seul », ce motif particulier va nous permettre de les promouvoir de façon volontariste. On passe de la petite fenêtre à la grande porte !

H.fr : L'intérim reste-t-il un procédé de recrutement très à la marge pour les travailleurs handicapés ?

IEC : En effet, pour le moment, il n'est pas suffisamment identifié comme une porte d'entrée naturelle dans l'emploi pour ce public. La branche a commandité une étude dans le cadre de notre observatoire paritaire, l'OIR, qui révèle que 1.3% des intérimaires sont en situation de handicap. Ce qui n'est pas étonnant car 75% de nos intérimaires sont des ouvriers et donc potentiellement exposés à des situations exigeantes. Il est donc plus compliqué d'insérer des personnes handicapées même si nous le faisons déjà, par exemple dans une grande entreprise de la logistique où nous déléguons des salariés malentendants que Madame Cluzel a pu rencontrer lors de la signature de notre engagement. 

Je tiens à ajouter que sur les 43 000 contrats conclus depuis la mise en place du CDI intérimaire en 2013 (ndlr : l'intérimaire signe un CDI avec l'entreprise de travail temporaire qui le met à disposition de ses entreprises clientes), nous comptons 2.4% de travailleurs handicapés dans cette catégorie, davantage que dans le contrat de mission temporaire classique. Le CDII peut donc être un très bon vecteur pour promouvoir des profils de salariés handicapés. 

H.fr : Une campagne de communication est prévue pour faire connaître votre engagement ? 

IEC : Oui et d'abord en interne. Au-delà des initiatives remarquables prises par nombre de nos adhérents, il faut que cela devienne un automatisme dans l'ensemble de notre profession. Pour cela, il faut que nos salariés permanents soient eux-mêmes parfaitement à l'aise avec le handicap car c'est ainsi qu'ils auront un discours plus proactif et rassurant. 

H.fr : Mais il faut aussi que les personnes handicapées soient tentées de pousser vos portes...

IEC : Exactement. Nous envisageons peut-être même des agences dédiées pour bénéficier d'une visibilité renforcée. Il nous faut projeter un discours militant en leur disant : « Venez chez nous, nous pouvons vous proposer des missions ! ».

H.fr : Le secteur de l'intérim satisfait-il, lui aussi, en interne, à l'obligation d'emploi de 6 % ?

IEC : Pour les propres salariés permanents des 28 000 agences de travail temporaire, nous sommes à un taux de 2.3%. Nous le jugeons évidemment trop bas et, dans le cadre de l'accord qui vient d'être signé, nous manifestons notre intention de progresser. Nous avons un vrai potentiel car tous nos métiers accueillent dès aujourd'hui des salariés handicapés. 

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