Par Andrew Mckirdy
D'un coup de menton expert, Shunya Hatakeyama réalise une prise dévastatrice dans le jeu de combat "Street Fighter". Né avec une dystrophie musculaire, une maladie dégénérative, ce Japonais de 28 ans participe surtout aux tournois eSport de Street Fighter V, ouverts à tous. La possibilité de "dépasser les handicaps et de concourir contre des personnes différentes" fait selon lui toute la beauté des jeux de combat. "Quand je participe à un tournoi, je ne veux pas que mon handicap soit un problème. Je veux impressionner les gens avec ma manière de jouer", affirme-t-il à l'AFP.
Esport : 1 milliard de dollars par an
Totalement aveugle depuis ses 20 ans en raison d'une malformation congénitale de l'œil, Naoya Kitamura, 28 ans lui aussi, parvient à jouer à Tekken 7 juste à l'aide du son. "Je vais bloquer un coup (de l'adversaire NDLR), et le son que cela va produire va me dire de quel coup il s'agissait", explique-t-il. "Ensuite, je vais réagir et faire mon coup", ajoute-t-il, faisant la démonstration avec une attaque impressionnante en jouant Lucky Chloe, un personnage de Tekken. L'eSport est en plein essor dans le monde entier, avec des recettes évaluées à plus d'un milliard de dollars par an dans le monde. Le secteur au Japon n'est pas aussi dynamique qu'en Chine ou en Corée du Sud, mais il y prend progressivement de l'importance.
Joystick personnalisé
Désireux d'offrir toutes leurs chances aux joueurs japonais avec un handicap, Daiki Kato, un employé de la Sécurité sociale nippone, a fondé une entreprise appelée ePara en 2016. Elle emploie des joueurs comme Shunya Hatakeyama et Naoya Kitamura et leur donne du temps pour s'entraîner aux jeux vidéo à côté de leur travail, qui comprend la gestion du site de l'entreprise et l'organisation d'événements vidéoludiques. Shunya Hatakeyama utilise un fauteuil roulant depuis qu'il a 6 ans. Il a toujours aimé les jeux de combats, mais ses muscles se sont tellement affaiblis avec les années qu'il ne pouvait même plus tenir une manette. Déprimé, il a décidé d'arrêter de jouer pendant six ans, jusqu'à ce qu'il décide avec un ami de fabriquer un joystick personnalisé qu'il peut utiliser avec son menton, tout en tapant avec ses doigts sur le clavier de son ordinateur. Désormais, il entraîne d'autres joueurs handicapés en leur expliquant les différents enchaînements et certaines techniques. "Si je n'avais jamais joué aux jeux de combat, je pense que je n'aurais jamais cherché à trouver des solutions même quand j'étais dans l'adversité", estime-t-il.
Changer la perception du handicap
Selon M. Kato, il y a un marché en pleine croissance pour les joueurs handicapés et les entreprises de jeux vidéo commenceront bientôt à en tenir compte. "Si vous avez plus de personnes malvoyantes ou malentendantes qui jouent, alors les constructeurs réagiront en faisant plus de jeux auxquels ils pourront jouer". M. Kato veut utiliser l'eSport pour montrer des personnes handicapées talentueuses, avec qui les Japonais "n'ont pas vraiment la chance d'interagir". Pour Naoya Kitamura, l'eSport aide à changer la perception selon laquelle les personnes handicapées n'ont "besoin que d'assistance". "Je suis vraiment bon avec les ordinateurs et je suis capable de choses que certaines personnes voyantes ne peuvent pas faire", dit-il. Les personnes handicapées n'ont pas "juste besoin d'aide. Selon les circonstances, nous pouvons aussi aider les autres. C'est une histoire de coopération", plaide-t-il.
Bientôt en lice aux Jeux ?
Selon lui, le terme "eSport" aide à être pris au sérieux, donnant une image de compétition, et pas seulement celle de "gens qui jouent aux jeux vidéo". Beaucoup pensent que le eSport apparaîtra un jour aux Jeux olympiques et paralympiques, mais "il n'y a pas besoin de distinguer les gens qui ont un handicap et ceux qui n'en ont pas dans le eSport", affirme M. Kato. "Que vous soyez en fauteuil roulant ou non, ce sont les mêmes règles et les mêmes compétitions".