Handicap.fr : Votre fille Célya a 2 ans et demi lorsque le diagnostic de dystrophie neuro axonale infantile (DNAI) tombe. Comment réagit-on quand on apprend que son enfant a une espérance de vie de cinq à dix ans ?
Sabrina Soudant : Mal, forcément, mais je m'y attendais plus ou moins... En septembre 2017, soit trois mois avant le diagnostic, une neuropédiatre me transmet un compte-rendu des premiers examens de Célya et de ceux en cours. En effectuant des recherches sur Internet, je tombe sur la DNAI, une maladie neurodégénérative incurable due à une mutation du gène PLA2G6. Tous les symptômes correspondent. Ça a été ce jour-là le véritable choc. Cela va peut-être vous surprendre mais lors de l'annonce du diagnostic, j'ai souri. La neuropédiatre a compris et m'a répondu : « Vous savez à quoi vous attendre ...».
Quand je suis arrivée à l'hôpital Necker à Paris la première fois, je me suis dit : « Au pire, ma fille sera handicapée mais il y aura des solutions ». J'étais loin de me douter que ça serait aussi difficile et laborieux... Du jour au lendemain, on se retrouve projeté dans une vie totalement différente de celle qu'on avait, et on doit faire avec... Seule face à la maladie, à un monde du handicap complexe, parfois hostile, à devoir tout gérer, à prendre la place de nombreux professionnels de santé. Les premières années, je me demandais comment j'allais bien pouvoir retrouver un semblant de vie.
H.fr : Qu'est-ce que la dystrophie neuro axonale ?
SS : Un syndrome neurodégénératif rare qui attaque toutes les fonctions motrices et intellectuelles (perte musculaire, des acquis, de la régulation du corps...). Célya a des troubles de la déglutition, digestifs, mais aussi de l'hypertension, des douleurs neuropathiques... Elle est alimentée par sonde, ne parle pas, ne marche pas, est totalement dépendante. Aujourd'hui âgée de 7 ans, elle a perdu une grande partie de sa vue et présente des troubles cognitifs. La démence fait aussi partie de la maladie.
H.fr : Quel impact cette pathologie a-t-elle eu sur votre quotidien ?
SS : Auxiliaire de puériculture, j'ai dû arrêter de travailler pour me consacrer pleinement à ma fille et surtout à sa maladie car, finalement, c'est elle qui est plus présente que Célya. Pour moi, c'était un choix évident. Quand on sait que son enfant a une espérance de vie très courte, on veut profiter de chaque instant auprès de lui. Je ne me vois pas la confier à une personne qui ne la connaît pas et ne saura pas interpréter chacun de ses signes, de ses inconforts. Il n'y a que moi qui peux savoir ce dont elle a besoin. Alors je suis tour à tour infirmière, aide-soignante, assistante administrative... Bref, multi casquettes ! C'est une maladie qui se dégrade au fil des ans, des mois même, avec une quantité de soins qui va crescendo.
H.fr : Votre vie sociale est également fortement impactée...
SS : C'est simple, l'interaction sociale majeure c'est avec les professionnels de santé. Sortir boire un verre ? Compliqué. Se promener ? Compliqué. Partir en vacances ? N'en parlons pas. Cette situation entraîne beaucoup de stress, d'angoisse, de compromis, de sacrifices, a fortiori quand on est une maman solo -le papa est parti lorsque j'étais enceinte-.
H.fr : On parle peu de l'impact qu'une maladie ou un handicap, a fortiori rare, peut avoir sur la fratrie. Comment se porte votre aînée ? Quel lien entretient-elle avec Célya ?
SS : Les liens ont été rompus à cause de la maladie, aujourd'hui elles ont très peu d'interactions. C'est difficile pour elle d'accepter que je passe autant de temps avec Célya. J'ai dû lui expliquer que sa petite sœur avait besoin de moi car elle n'était pas autonome. Quant à elle, je la sollicite beaucoup plus dans le quotidien.
Par ailleurs, ma grande devra faire un test à sa majorité pour savoir si elle porteuse saine, sachant que, pour transmettre cette maladie, il faut que les deux parents soient porteurs du gène.
H.fr : A quoi ressemble votre journée/semaine type ?
SS : Ma journée commence au moment où Célya se réveille, ensuite, on fait tout en fonction d'elle : ses repas, ses soins... Puisqu'on ne peut pas vraiment sortir, car son matériel médical est bien trop imposant, on s'occupe à la maison, entre deux rendez-vous médicaux... Une psychomotricienne et un ergothérapeute la prennent en charge une fois par semaine à domicile, et un kiné trois fois afin de mobiliser ses membres, sans compter son rendez-vous bimestriel chez la neurologue. Le reste, c'est assez aléatoire donc on ne peut rien prévoir. Le plus frustrant, c'est qu'il n'y aura jamais d'amélioration... Le but est simplement de faciliter son quotidien et de lui procurer un minimum de bien-être. Mais Célya n'est pas très coopérative et elle le fait comprendre !
H.fr : Qu'est-ce qui vous aide à tenir au quotidien ?
SS : L'association que j'ai créée, « Le combat de Célya », le fait d'interpeller les pouvoirs publics, le corps médical, de vouloir changer les choses... Avant que cette asso ne voie le jour, je me sentais vraiment seule et ne voyais pas le bout du tunnel. Le fait d'échanger avec des familles touchées par la dystrophie neuro axonale ou d'autres maladies rares permet de sortir un peu la tête du guidon et de s'ouvrir de nouveau au monde. On partage nos galères, sur la lenteur des démarches administratives ou l'errance diagnostique, on se donne des conseils et on se sent moins seul.
H.fr : Quel est l'objectif de l'association Le combat de Célya ?
SS : Au départ, le but était de financer le matériel de Célya, notamment un sur-bain, une nouvelle poussette et un véhicule adapté. Je souhaitais aussi sensibiliser le grand public aux maladies rares, dont on ne parle pas assez alors qu'elles concernent trois millions de personnes en France. Par ailleurs, 95 % de ces pathologies ne disposent pas de traitement donc l'objectif est également de faire avancer la recherche.
H.fr : Un espoir de traitement est-il envisageable pour la dystrophie neuro axonale ?
SS : Je suis en contact avec un laboratoire à Lille qui planche sur un traitement permettant de diminuer les symptômes et de ralentir l'évolution de la maladie afin d'améliorer le confort des enfants et leur qualité de vie. Tandis qu'aux USA, un essai clinique pour une thérapie génique est en cours. En France, ce n'est, pour l'heure, pas envisageable car cette technique nécessiterait trop de temps et d'argent alors que l'espérance de vie des enfants est trop courte.
H.fr : Quel message souhaitez-vous adresser aux parents d'enfants touchés par une maladie rare ?
SS : Ne perdez pas espoir et, surtout, ne restez pas seuls ! Contactez des associations, délestez-vous de votre douleur, de votre épuisement lors des groupes de parole par exemple.
H.fr : Et au gouvernement, aux professionnels de santé... ?
SS : J'ai accumulé beaucoup de colère au fil du temps, face au manque d'aides aux aidants, de recherches sur les maladies rares et de suivi médical... J'aimerais que les pouvoirs publics soient plus à l'écoute des familles, mettent en place des structures de soutien et organisent des réunions pour rassembler les familles touchées par les maladies rares. Il faut aussi sensibiliser et informer les parents sur les options et les voies possibles, créer des cellules d'écoute et, j'insiste, faire avancer la recherche.
DNAI, maladie rare : le SOS d'une maman solo en détresse
A 7 ans, Célya ne marche pas, ne parle pas, est totalement dépendante. La dystrophie neuro axonale ronge ses fonctions motrices et intellectuelles et monopolise l'attention de sa maman, qui dévoile les coulisses de son quotidien d'aidante. Interview
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