Par Marine Pennetier, avec Cassandre Rogeret
Accroître le soutien financier aux départements, recruter davantage d'assistants sociaux en milieu scolaire, renforcer les moyens de la justice... La Défenseure des droits interpelle l'Etat dans une décision publiée le 29 janvier 2025, dénonçant "de graves atteintes à l'intérêt supérieur et aux droits des enfants", notamment ceux en situation de handicap.
Solutions attendues avant fin mai !
Dirigée par Claire Hédon, l'autorité indépendante, dont l'une des prérogatives est de veiller au respect des droits des enfants, demande au gouvernement de "rendre compte des suites données" à ses recommandations dans un "délai de quatre mois". Dans sa "décision-cadre" de 85 pages, la Défenseure des droits fait le constat qu'en dépit de nombreuses interpellations, la situation de la protection de l'enfance "se dégrade, de manière plus marquée ces dernières années". Ce secteur est, en effet, touché de plein fouet par une pénurie de professionnels, un déficit de structures d'accueil et un nombre croissant de jeunes à protéger.
Une cinquantaine de recommandations
"En 2022, pour la première fois, des magistrats, juges des enfants, ont attiré (notre) attention sur la situation de la protection de l'enfance dans leur département, faisant état de lourdes défaillances du dispositif, avec un impact très défavorable sur la situation des enfants", ajoute-t-elle. Au total, l'organisation émet, dans cette décision publiée un an après la mort de Lily -une jeune adolescente de 15 ans retrouvée pendue dans un hôtel où elle avait été placée par l'aide sociale à l'enfance- plus d'une cinquantaine de recommandations.
Enfants protégés handicapés : absence de données fiables
Selon les derniers chiffres officiels, quelque 390 000 enfants font l'objet d'une mesure de protection au titre de l'aide sociale à l'enfance (ex-Ddass). Parmi eux, entre 15 et 30 % présenterait un handicap, notamment psychique. Mais il s'agit d'une estimation. En 2015, l'institution déplorait déjà l'absence de "données fiables" à ce sujet. 10 ans plus tard, elle recommande aux agences régionales de santé (ARS), aux départements et au secteur associatif habilité, de poursuivre leurs réflexions pour élaborer un système de collecte de données partagées, associant les secteurs du handicap, de la santé, et de la justice afin de connaître le "nombre exact" d'enfants en situation de handicap protégés.
Protection de l'enfance : "le handicap n'a pas sa place"
La Défenseure des droits constate, par ailleurs, que ces jeunes "sont pointés comme n'ayant pas leur place dans les établissements de la protection de l'enfance". Or, "tous les enfants en danger ont vocation à être protégés par un dispositif de protection de l'enfance exempte de toute discrimination". Elle recommande ainsi à l'Etat de poursuivre son engagement financier en faveur des réponses pouvant être apportées à l'ensemble des enfants en situation de handicap, en prêtant une attention particulière aux jeunes à double vulnérabilité accompagnés.
Enfants handicapés : un manque de prise en charge
"Malgré la transformation marquée vers une offre médico-sociale plus inclusive, qui doit être saluée" et une volonté de "désinstitutionnaliser", de nombreux enfants en situation de handicap "souffrent d'un manque de prise en charge faute de dispositifs inclusifs en nombre suffisant, ou de dispositif réellement adapté à leur besoin", poursuit-elle. D'autant que "le manque de soignants et de structures adaptées participe à la dégradation de l'état de santé, physique et mentale, des enfants, et à l'épuisement des professionnels qui les accompagnent". À cet égard, il revient, selon elle, à l'Etat de déployer une offre sanitaire et médico-sociale adaptée aux besoins spécifiques de chaque jeune accompagné par la protection de l'enfance. Elle insiste sur l'importance d'une approche individualisée pour construire avec lui et sa famille, un parcours de vie.
Une "formation-action" pour sensibiliser au handicap
Pour favoriser les connaissances et les interactions mutuelles entre la protection de l'enfance et le handicap, les centres régionaux d'études, d'actions et d'informations (CREAI), financé par les ARS, mettent en place une formation-action "Prévenir les situations critiques et complexes d'enfants et de jeunes : coordination territoriale des acteurs pour mieux répondre à la sécurité des parcours", pour faire émerger des réponses territoriales coordonnées.
"Donner à la justice les moyens d'assumer son rôle"
Concernant, plus généralement, le financement de la protection de l'enfance, secteur géré par les départements depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, la Défenseure des droits recommande à l'Etat "de compenser les charges induites par les obligations nouvelles pesant sur les départements, et d'augmenter significativement la partie de son budget consacrée aux solidarités". Elle appelle parallèlement à "donner à la justice les moyens d'assumer son rôle" dans la protection des enfants. Faute de financement suffisant et de professionnels disponibles, les délais d'audiencement ou de réalisation des enquêtes sociales se révèlent largement "insatisfaisants", selon elle.
Plus de prévention dans les écoles
Sur le plan de la prévention, la Défenseure des droits considère qu'il "y a urgence" à intervenir en faveur d'un "service social scolaire solide", "y compris dans les écoles élémentaires". Elle recommande également d'intégrer à la formation initiale des enseignants de modules relatifs à "la protection de l'enfance, aux droits de l'enfant, à la lutte contre toutes les formes de violences". Dans un contexte de crise, "la tentation est grande d'empiler en urgence des solutions partielles défaillantes et d'adopter des réflexes défensifs", estime l'institution.
Mineurs non accompagnés : des réponses insuffisantes
Sur la question spécifique des mineurs non accompagnés (MNA), point de crispation régulière entre l'Etat et les départements, la Défenseure des droits appelle ces derniers à ajuster leur dispositif d'accueil provisoire "en lien avec les préfectures" et déplore "l'insuffisance des réponses de l'Etat dans l'ensemble des départements concernés". Concernant les jeunes majeurs, enfin, sur lesquels les associations tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs années, elle insiste sur l'importance de leur accorder un "accompagnement adapté à leurs besoins".
Santé mentale : des difficultés d'accès aux soins
La Défenseure des droits émet également des inquiétudes sur les "difficultés relatives à l'accès aux soins en santé mentale" pour les enfants concernés. Ces enfants, "dont les symptômes peuvent provenir de troubles de l'attachement développés dans les premiers mois et années de vie, sont malheureusement amenés à subir régulièrement des ruptures de parcours et des réorientations multiples", note-t-elle. Dans le même temps, elle appelle à généraliser les unités d'accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED).