ERP non accessibles : la "grande faillite de l'Etat"?

Vingt ans après la loi de 2005 qui obligent les ERP* à engager des travaux de mise en accessibilité pour les personnes handicapées, seuls 900 000 sur 1,8 million sont conformes. Halte à l'incitation, place aux sanctions, exhortent les associations.

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Un homme en fauteuil roulant coincé au milieu d’un grand escalier.

* Etablissements recevant du public

Par Nicolas Bove

Un soir de septembre à Paris, Marina Smid passe commande dans un restaurant depuis le trottoir, deux marches bloquent l'entrée à son fauteuil électrique : une situation encore trop fréquente pour les associations, qui réclament des sanctions (Fin des Ad'Ap : sanctions exigées pour les ERP inaccessibles).

900 ERP accessibles sur 1,8 million

"L'inaccessibilité, aujourd'hui, c'est de la délinquance", accuse le président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), Jérémie Boroy. Depuis le 26 septembre 2024, tous les établissements accueillant du public doivent, sauf dérogation, avoir "confirmé que les travaux ont bien été menés". Les derniers chiffres communiqués en août, à la veille des Jeux paralympiques, par le cabinet de la ministre alors démissionnaire aux Personnes handicapées, Fadila Khattabi, recensent 900 000 établissements conformes, sur près de deux millions.

Des obstacles loin d'être exceptionnels

Abritée par un mince auvent de toile, Mme Smid, 64 ans, assure à l'AFP dans un premier temps que cette situation, "c'est l'exception". Avant de se rappeler quelques jours plus tôt n'avoir pu assister au concert de son neveu à cause d'une marche, et que ses recherches d'un ophtalmologue pouvant l'accueillir durent depuis des mois. La loi handicap de 2005 avait prévu que les lieux publics devaient être accessibles en 2015. Un nouveau calendrier avait été fixé cette année-là portant des échéances jusqu'en 2024. 

En 20 ans, "on a fait la moitié du chemin"

La mise en conformité "se matérialise par le dépôt de dossiers d'aménagement et, le cas échéant, de demandes d'une ou plusieurs dérogations au code de la construction et de l'habitation", rappelle la Préfecture de police de Paris (PP), chargée des dossiers pour la capitale. En 20 ans, "on a fait à peine la moitié du chemin et les pouvoirs publics n'ont jamais voulu mettre en place de sanctions", proteste Jean-Louis Garcia, président de l'APAJH (Association pour adultes et jeunes handicapés).

Des dérogations "facilement" obtenues

Arnaud de Broca, président de Collectif handicaps regroupant 54 associations, déplore quant à lui "la facilité" avec laquelle des dérogations, non limitées dans le temps, ont été obtenues. A Paris, en 2022 et 2023, entre 70 % et 75 % des demandes de dérogation formulées ont été acceptées, selon la PP.

Un dispositif incitatif "extrêmement tardif"

Déplorant que de très nombreux commerces de proximité n'aient pas connaissance de leurs obligations, Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité d'APF France handicap dénonce "une grande faillite de l'Etat qui ne fait pas son travail d'application de la loi". Et, selon lui, le dispositif "incitatif" déployé depuis novembre 2023, "à quelques mois de l'échéance ultime, est extrêmement tardif".

Jusqu'à 20 000 euros de travaux financés par l'Etat

Annoncé par le Président de la République à la conférence nationale du handicap en 2023, il consiste notamment en un fonds territorial d'accessibilité de 300 millions d'euros "ciblant les petits établissements", boutiques, restaurants, cabinets médicaux et lieux associatifs, confié aux préfets (300 millions pour des commerces accessibles : top départ!). Sur examen de dossier, l'Etat peut financer des travaux jusqu'à 20 000 euros, à hauteur de 50 % du coût. "Un système de sanction", n'était alors pas "envisagé" avant "un bilan en 2024", avait dit Emmanuel Macron.

Des sanctions pour rattraper un retard colossal

"Plutôt que des sanctions, on a voulu mettre en place des incitations" et faire preuve "de pédagogie", explique l'ancienne ministre (2023-2024) aux Personnes handicapées Fadila Khattabi qui estime qu'à présent, "il faut de la fermeté et de l'accompagnement". Elle constate "un retard colossal" et reconnaît également que le fonds "démarre doucement".

Des solutions faciles à mettre en place

"On a, avec l'Etat, failli dans la communication" abonde le délégué général du groupement des hôtelleries et restaurations (GHR) Franck Trouet. "Les professionnels ont l'impression que de gros travaux" sont nécessaires "alors que parfois (...) ils sont très faciles à mettre en place". Mais "il faut distinguer le fait de respecter la loi et de ne pas être accessible", souligne-t-il, affirmant que "tous les professionnels" sont dans les clous. 

Concilier les besoins et la réalité économique

L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie affiche quant à elle 77 % d'adhérents "en conformité", selon une enquête interne. Et sa présidente Véronique Siegel appelle à "concilier les besoins (des personnes) et la réalité économique" des entreprises.

Après cette "date couperet", M. Boroy du CNCPH réclame quant à lui "une clarification" de l'Etat, craignant que "désormais, il ne se passe plus rien".

© Stocklib / Andranik Hakobyan

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