Par Catherine Fay-De-Lestrac
Dans une ancienne halle de tri devenue un lieu culturel branché de l'est parisien, devant des ordinateurs alignés sur de longues tables de bois, treize équipes de "makers" ont été constituées, chacune autour d'une personne handicapée qui a proposé un "défi" de sa vie quotidienne en lien avec sa pratique sportive. Tom France, une association qui souhaite "mettre la tech au service du handicap", organisait les 10 et 11 juillet 2023, pour la deuxième année, un hackathon, réunissant développeurs, ingénieurs et designers pour travailler pendant 48 heures sur des projets informatique et d'ingénierie de manière collaborative.
Prototypes en accès libre
Gladys veut surélever son fauteuil roulant pour pouvoir danser au même niveau que ses partenaires. Jean, sourd et aveugle, veut communiquer par le toucher à distance avec ses proches. Johan, tétraplégique, adore le quad et veut pouvoir le manœuvrer de la main gauche alors qu'il a une mobilité réduite de sa main droite. Léa, en fauteuil roulant, veut une selle adaptée à l'équitation. Dans un coin du hangar, s'alignent des imprimantes 3D et des outils -disqueuse, postes à souder- pour fabriquer le prototype. Les participants au hackathon inventent des produits sur mesure pour des handicaps parfois rares. Les prototypes finalisés sont montrés le 11 juillet avant que les solutions techniques ne soient mises en ligne en accès libre, en français et anglais. Des Etats-Unis à l'Afrique, il sera possible de s'en inspirer pour fabriquer ces appareils, qui utilisent des matériaux accessibles. Ces modèles pourront aussi inspirer d'autres chercheurs pour aller plus loin ou les adapter à d'autres handicaps.
Des FabLabs dans les centres de rééducation ?
"Les recherches en technologies numériques, robotique, c'est l'avenir pour faciliter l'autonomie des personnes handicapées. Nous souhaitons sur ce modèle encourager le développement de Réhab Labs, des FabLabs dans les centres de rééducation et établissements médico-sociaux", a déclaré la ministre chargée des Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq, en visitant le hackathon. La Conférence nationale du handicap (CNH) en avril a souhaité développer et étendre le réseau de 45 "Réhab Labs" existants. "Chacun a des besoins spécifiques et les appareils particuliers dont ils ont besoin peuvent y être conçus sur mesure et fabriqués sur place. Conçus pour une personne, ils peuvent être utiles à tous", poursuit la ministre.
Sensibiliser et faire ensemble
Pour Etienne Moullet, tétraplégique, passionné de rugby-fauteuil et de handbike, "les 'makers' ont une sensibilité au handicap, mais cela ne veut pas dire qu'ils le connaissent. C'est l'occasion pour nous d'expliquer nos besoins, il y a beaucoup de discussions, c'est enrichissant". Marc Teyssier du pôle d'enseignement supérieur Léonard de Vinci, travaille avec Jean Bouissou, sourd-aveugle, à une interface pour communiquer à distance par le sens du toucher : "C'est agréable de mettre nos compétences au service de projets utiles, sociaux. Et également pour la communauté 'Maker', qui partage cette philosophie de l'innovation, de se retrouver pendant deux jours". "Le but est aussi de sensibiliser (les développeurs) aux enjeux du handicap : ils passent 48 heures ensemble en immersion, ils conçoivent en écoutant le retour de la personne handicapée, ils se mettent à leur place", explique Claire Chokron, présidente de Tom France.
Dans un coin de la halle, on entend des cris : une partie endiablée de basket-fauteuil est en cours. Des "geeks" ont pris place dans des fauteuils roulants : ils doivent manœuvrer à toute vitesse les roues pour avancer, sans se cogner, tout en attrapant le ballon et marquer des paniers.