« Tu ne fais pas d'effort », « C'est pourtant facile, tout le monde y arrive », « Si tu n'es pas capable de faire une addition, comment tu vas t'en sortir dans la vie ? », « À ton âge, c'est honteux de ne pas savoir lire l'heure ». Ces remarques ont bercé l'enfance de Judith, jusqu'à éreinter son estime d'elle-même. Comme 2 à 5 % des Français, cette jeune fille est atteinte de dyscalculie, un trouble spécifique des apprentissages numériques, qui, contrairement aux idées reçues, « ne se limite pas à être mauvais en maths ».
Interview d'Elvire Cassan, maman et auteure
Pour sensibiliser le grand public à ce handicap méconnu, sa mère, Elvire Cassan, retrace son parcours du combattant, en tant que parent d'une fillette « multidys », dans son livre L'Odyssée des dys (éditions Stock). Entretien au lendemain de la Journée internationale du 3 mars 2025.
Handicap.fr : Quel est l'objectif de votre ouvrage ?
Elvire Cassan : Rendre visible ce handicap invisible et de soutenir les familles prises dans les tourments de ces troubles. Je veux montrer que derrière les difficultés, il y a des enfants et des adultes intelligents, créatifs, qui méritent d'être compris et accompagnés. C'est aussi un message d'espoir : avec des aménagements et du soutien, on peut réussir, comme le montrent, à la fin du livre, les portraits de Thomas Legrand (journaliste) et Pauline Clément (actrice).
H.fr : Comment identifier la dyscalculie ?
EC : Ce trouble spécifique du développement entraîne une difficulté à compter, dénombrer, reconnaître immédiatement les petites quantités, connaître les systèmes numériques oraux et/ou arabe, passer d'un code numérique à un autre, manier la numération en base 10, se représenter en analogique une quantité, effectuer un calcul mental, poser un calcul par écrit, résoudre des problèmes, apprendre des faits numériques comme une table de multiplication ou encore à poser une opération.
H.fr : Quel impact ces altérations ont-elles sur la vie scolaire, professionnelle et sociale ?
EC : La dyscalculie est un véritable frein dans de nombreux aspects de la vie quotidienne. À l'école, elle complique l'apprentissage des mathématiques, mais aussi d'autres matières où les chiffres sont présents, comme la physique ou l'économie. Cela peut entraîner une grande souffrance chez l'enfant, une perte de confiance en soi et un sentiment d'exclusion. Sur le plan professionnel, les métiers demandant une manipulation des nombres sont souvent inaccessibles, ce qui réduit le choix d'orientation. Socialement, cela peut générer des incompréhensions : gérer son budget, lire l'heure ou même suivre un jeu de société deviennent un défi.
H.fr : Ce handicap est-il particulièrement soumis à des préjugés ?
EC : Oui, énormément. L'un des plus répandus est de penser que la dyscalculie est juste un manque de travail ou d'attention. Beaucoup croient encore qu'il suffit de « faire plus d'efforts » pour surmonter ces difficultés, alors qu'il s'agit d'un trouble cognitif avéré. Il y a aussi l'idée fausse que les personnes dyscalculiques sont « bêtes » ou « paresseuses », alors qu'en réalité, elles peuvent exceller dans d'autres domaines.
H.fr : Pourquoi reste-t-il méconnu ?
EC : On parle peu de la dyscalculie en France, à la différence de l'Angleterre, parce que ce qui a été le plus documenté, c'est la dyslexie (difficultés à lire). C'est le trouble « dys » le plus connu et le plus étudié par les chercheurs.
H.fr : De ce fait, avez-vous été confrontée à une longue période d'errance médicale ? Quel impact sur votre famille
EC : Oui, ma fille a été diagnostiquée tardivement. Elle avait d'abord le diagnostic de dyslexie et dysorthographie, la dyscalculie était suspectée mais nous avons dû attendre 18 mois à Paris pour faire un bilan. À bientôt 10 ans, elle n'a toujours pas pu entamer une rééducation faute d'orthophoniste spécialisé. Des stages intensifs sont proposés aux familles sur les périodes scolaires pour essayer de rééduquer un peu les enfants, en attendant. C'est un problème de santé publique majeure. Cette attente peut provoquer du stress, de l'anxiété et une démotivation à l'école. Pour la famille, c'est aussi une épreuve car on se sent impuissant face à la souffrance de son enfant.
H.fr : Comment obtenir un diagnostic ?
EC : Le diagnostic passe obligatoirement par un bilan réalisé par un orthophoniste spécialisé. L'école peut aussi être un premier relais d'alerte, en signalant des difficultés qui persistent malgré les efforts fournis. Il est essentiel d'insister auprès des professionnels pour éviter que le trouble ne soit minimisé.
H.fr : Les personnes concernées peuvent-elles notamment bénéficier d'une Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) ?
EC : Oui, la dyscalculie peut être reconnue par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et ouvrir droit, notamment, à une RQTH. Cela permet d'aménager le parcours scolaire et professionnel, en mettant en place des compensations adaptées. Cependant, cette reconnaissance n'est pas automatique et il faut souvent se battre pour l'obtenir.
H.fr : Quelles solutions peuvent être mises en place pour aider les élèves concernés ?
EC : L'usage de la calculatrice, un temps supplémentaire pour les évaluations, un accompagnement personnalisé par un AESH (accompagnant d'élève en situation de handicap) ou encore la mise en place d'outils visuels et concrets. Plus globalement, il est essentiel de sensibiliser les enseignants et l'entourage pour éviter les jugements hâtifs et proposer des méthodes d'apprentissage adaptées.
Par ailleurs, Le cartable fantastique, association fondée par Caroline Huron à destination des jeunes dyspraxiques, proposent également des ressources pour faciliter la scolarité des enfants dyscalculiques.
H.fr : Vers qui les familles peuvent-elles se tourner pour obtenir de l'aide, des ressources ?
EC : Vers les associations spécialisées comme la Ffdys, dyspraxie France dys, qui constituent de très bons soutiens, ou vers des sites Facebook dédiés comme dyscalculie info pour des conseils pour les devoirs.
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