« Je suis énorme, pleine de vie, pleine d'une vie. Cela fait huit jours que je dois accoucher. Les sages-femmes décident de déclencher la naissance. Ce bébé (...) n'a visiblement pas envie de passer vers la vie extérieure. » Que redoute-t-il ? L'accouchement est long, fastidieux. Malo voit le jour 24 heures plus tard. « Il est parfait. Il semble si fort (...) Le chemin qu'il prendra est, pour moi, évident, clair, lumineux : il grandira, étudiera brillamment, se mariera et aura des enfants », écrit Agathe de Miniac dans son livre Tango 2 (éditions Nouvelle Cité), en librairie depuis le 27 août 2020. Rien ne se passera finalement comme prévu... « Ce petit tableau tranquille » que cette professeure d'histoire-géo a imaginé s'apprête à voler en éclat. Quelle aventure déroutante l'attend ? Récit poignant d'une famille ébranlée par la maladie... mais bercée -à défaut d'illusions- d'amour, de patience et d'espoir.
48h dans les bras de Morphée
Malo est sage, mange bien, dort bien, tient assis rapidement et marche à quatre pattes « sans difficulté ». Seul hic : il bave beaucoup, garde souvent la bouche ouverte et la langue sortie. « Rien d'inquiétant, pense Agathe, sans doute ses dents qui poussent... » Mais, déjà, les premiers soupçons naissent chez les proches... « Malo grandit doucement, trop doucement. Il marche un peu tard, vers quinze mois. Il parle peu, quelques onomatopées. Le médecin ne décèle rien. » L'âme aventurière, la petite famille s'installe en Afrique, à Djibouti. Un matin, la responsable de la crèche la convoque, « très inquiète ». « Malo présente des signes de fatigue importants. Il ne tient pas droit, tombe et bascule la tête sur le côté, ne dort plus. » Jusqu'à ce jour d'avril où il ne se réveille pas... Agathe tente de le stimuler, en vain. Il restera ainsi dans les bras de Morphée durant deux jours.
Un combat contre l'errance médicale
Les parents décident de rentrer en France précipitamment avec « ce garçon très pâle et très atonique ». Verdict du pédiatre : hypothyroïdie importante. Rien de grave au demeurant, qui ne puisse se soigner avec un supplément d'hormones thyroïdiennes. Mais, très vite, les symptômes s'intensifient : pertes d'équilibre, malaises, manque de tonus, regard lointain, absences... A 2 ans, il ne parle toujours pas, babille tout au plus, et une incroyable et dangereuse résistance à la douleur se révèle. Les doutes se confirment. L'hypothyroïdie n'est pas la seule responsable de l'état de Malo. Mais quoi, alors ? Débute alors un long parcours du combattant contre l'errance médicale. Des recherches génétiques fastidieuses. De nombreuses maladies présumées. Des dizaines d'hypothèses erronées. Des mois d'attente et, chaque fois, une nouvelle déception. « Jusqu'au jour où nous avons décidé d'arrêter de chercher, explique Agathe de Miniac. Nous avions compris que, si les médecins trouvaient quelque chose, nous aurions un diagnostic et non une thérapie. »
Tango 2, une maladie génétique rare et obscure
Puis la fratrie s'agrandit et d'autres enfants présentent des symptômes similaires. Agathe prend peur, s'interroge, se révolte contre le Ciel face à ces comportements inédits et devant lesquels la médecine s'avoue d'abord bien impuissante. Des années plus tard, une pédiatre endocrinologue propose d'explorer tout l'ADN de Malo. Agathe accepte, « du bout des lèvres, pour faire avancer la recherche ». C'est l'équipe de l'institut des maladies génétiques Imagine, situé au sein de l'hôpital Necker, qui mettra fin à quinze années de suspense. Le mal qui ronge Malo s'appelle Tango 2, une maladie métabolique extrêmement rare portant le nom du gène qui est atteint... C'est à peu près tout ce que l'on sait de cette mystérieuse pathologie. « A l'annonce du diagnostic, les médecins nous ont avoué qu'ils en connaissaient moins que nous, parents », se souvient Agathe. Elle se précipite alors sur Internet pour tenter d'en apprendre davantage. En vain. « Nous savons désormais qu'il s'agit d'un déficit de fonctionnement du transport d'une protéine dans les cellules », éclaircit-elle, six ans plus tard. Une centaine de personnes seraient touchés dans le monde, dont trois de ces cinq enfants...
Ecrire pour comprendre
Lorsque le troisième diagnostic tombe, Agathe se sent « submergée ». « J'avais l'impression que personne ne pouvait comprendre, confie-t-elle. Cette maladie est très rare mais comment qualifier le fait d'être la mère de trois enfants atteints ? » Alors elle se met à écrire, comme pour « se repasser le film de ces maternités si spéciales ». « Pendant deux décennies, je suis allée tout droit. J'ai foncé sans beaucoup réfléchir, écrit-elle. J'ai ri, j'ai beaucoup pleuré, j'ai rencontré, j'ai aimé, j'ai prié et j'ai beaucoup changé. Aujourd'hui, je m'arrête. J'ai un besoin impérieux d'écrire. »
4 questions à Agathe de Miniac
Handicap.fr : Quel impact cette maladie a-t-elle eu sur votre vie ?
ADM : Nous avons tous les deux continué à travailler. C'était une question d'équilibre, pour ne pas penser tout le temps à la maladie, à son impact et diminuer notre charge mentale. Nous avons essayé de changer le moins possible notre vie familiale, sociale et professionnelle mais force est de constater que la maladie, lorsqu'elle concerne plus de la moitié des enfants d'une même famille, impacte fortement le foyer. Il nous est, par exemple, impossible de faire des sorties sportives, les jeux de société doivent convenir aux non-lecteurs… Nous, parents, nous y sommes faits mais nos enfants « valides » en souffrent encore.
H.fr : Dans le résumé de votre livre, il est écrit « Lorsqu'on est issu d'un milieu favorisé où tous réussissent, comment vaincre la morsure de la comparaison avec les autres familles sans problèmes apparents ? ». Avez-vous trouvé la solution ?
ADM : La solution, c'est de ne pas comparer. La comparaison est le contraire de la raison. Elle mène soit à la souffrance, soit à l'orgueil. Une fois que j'ai compris cela, ma vie est devenue bien plus légère.
H.fr : Que font vos trois enfants aujourd'hui ?
ADM : Aujourd'hui âgé de 21 ans, Malo est accueilli en foyer de vie. Jeanne, 15 ans, a intégré un CAP service à la personne, grâce à des aménagements de sa scolarité, et est suivie par un orthophoniste. Isabelle, 12 ans, vient d'entrer au collège, dans une classe Ulis (Unité localisée pour l'insertion scolaire), et est suivie par un Sessad (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile).
H.fr : Quel message souhaiteriez-vous transmettre ?
ADM : Dire que nous avons de la chance de vivre en France, où le handicap est largement pris en charge. Chaque citoyen finance une petite partie des aides à travers les cotisations salariales, ce qui nous permet de vivre avec trois enfants malades alors que, dans d'autres pays, ce serait impossible. Nous communiquons avec d'autres familles, notamment américaines, qui nous expliquent que c'est beaucoup plus complexe dans leur pays car elles doivent demander à leur mutuelle de financer certains examens qui sont systématiques en France.